On le savait: concilier la mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse» avec l’accord que la Suisse a passé avec l’UE sur la libre circulation des personnes tenait de la magie, tant ces deux textes sont incompatibles. Après avoir siégé près de quinze heures en trois jours, la Commission des institutions politiques (CIP) du Conseil national a fini par sortir un lapin de son chapeau. Un lapin aux couleurs de l’Europe: la CIP a approuvé une clause de sauvegarde bottom-up, prévoyant des mesures correctives par branches et par régions. Mais cette solution ne sera pas prise unilatéralement. Elle sera d’abord soumise au comité mixte à Bruxelles, où l’UE pourra s’y opposer.

Quadrature du cercle

«C’est la clause magique», se félicite le chef de groupe des Verts, Balthasar Glättli. La CIP a donc accouché d’une proposition totalement inattendue, tant elle s’éloigne du texte de l’initiative de l’UDC, désormais ancré à l’article 121 de la Constitution. Ce texte exige que la Suisse gère souverainement l’immigration et introduise des contingents dans ce but. Inutile de préciser que l’UDC fulmine. «Nous ne résolvons aucun problème avec cette variante», déplore Gregor Rutz (UDC/ZH).

Véritable quadrature du cercle, la mise en application de l’initiative de l’UDC, approuvée par le peuple le 9 février 2014, n’en est plus à un rebondissement près. Avant la séance de la CIP, deux scénarios émergeaient: celui du PLR, soutenu par les cantons, d’une préférence nationale dite «light»: pas de contingents, mais les administrations et l’économie alertent d’abord les offices régionaux de placement (ORP) lorsqu’ils ont des postes vacants, cela avant de les mettre au concours publiquement. Cela permet aux ORP d’épuiser le potentiel de main-d’œuvre indigène. Autre modèle, celui du PDC, qui voulait tout de même ancrer la notion de contingents dans la loi sur les étrangers, de manière à apaiser l’UDC.

C’est donc le modèle du PLR, qu’avait esquissé l’ancien secrétaire d’Etat Michael Ambühl, qui s’est imposé. Dans un premier temps, le Conseil fédéral favorise les travailleurs résidant en Suisse. Si cela ne suffit pas pour juguler l’immigration, il prend des mesures correctives dans une deuxième étape. Il détermine leur seuil de déclenchement, leur durée, leur champ d’application régional et les branches professionnelles concernées.

Un message d’apaisement

Avec une telle clause unilatérale, la CIP fonçait dans le mur. Jamais l’UE n’aurait accepté des «seuils de déclenchement», qui sont contraires à l’accord sur la libre circulation des personnes. Elle a donc décidé de soumettre ces mesures au comité mixte, l’organe qui constitue le pilier de l’architecture de la voie bilatérale. Celui-ci, composé de représentants de la Suisse, de la Commission européenne et de tous les Etats membres, ne peut que régler les différends par une solution consensuelle. Si donc l’UE s’oppose aux mesures correctives, ce qui est fort probable, le Conseil fédéral ne les mettra pas en œuvre.

Ce faisant, la CIP envoie un signal d’apaisement à Bruxelles. Elle montre que la Suisse tient aux accords bilatéraux. Surtout, elle n’a pas perdu de l’esprit le récent jugement rendu par le Tribunal fédéral en novembre 2015. Celui-ci a statué qu’en cas de conflit d’intérêts entre les droits suisse et européen, ce sont les traités internationaux qui prévalent. «C’est un arrêt important que nous n’avons pas pu ignorer», a souligné le porte-parole de la majorité de la commission, le PLR soleurois Kurt Fluri.

Tous contre l’UDC

La CIP a pris sa décision par 16 voix contre 9, toutes celles de l’UDC. C’est dire que tous les partis se sont alliés contre celui de Christoph Blocher. La recomposition de ce «front républicain» n’était pas évidente. Avant la séance, personne ne savait très bien comment le PS allait se positionner dans ce dossier, lui qui réclamait des mesures d’accompagnement supplémentaires pour éviter le dumping salarial. Désormais, c’est clair. «C’est un bon compromis, même s’il est minimal, entre les différentes forces en présence du parlement», estime Cesla Amarelle (PS/VD).

Reste à savoir si le Conseil national suivra sa commission en plénum. Si c’est le cas, on s’achemine tout droit vers un référendum de l’UDC, même si Gregor Rutz s’est refusé à tout pronostic sur ce plan. «Il faut attendre la décision des deux Chambres. Ensuite, nous aviserons», a-t-il déclaré. Mais le juriste zurichois de l’UDC ne cachait pas sa frustration. «Nous étions plus près du Conseil fédéral que la majorité de la Commission», a-t-il avoué. Effectivement, le 4 mars dernier, le gouvernement avait envisagé la mise en place de contingent en cas d’absence d’accord avec Bruxelles.

Les partisans du compromis envisagent quant à eux la suite des opérations avec une relative sérénité. C’est dans cette constellation partisane – tous contre l’UDC – que le peuple a plébiscité la voie bilatérale à cinq reprises. «Le peuple y tient. Nous pouvons gagner cette votation», estime Balthasar Glättli.