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Des industriels dénoncent le silence de Berne en matière d’économies d’énergie

Le Conseil fédéral tarde à préciser ses intentions en matière d’économies d’électricité et de gaz. Des entreprises, qui ont besoin de clarté pour se préparer, ont fait part de leur impatience dans un forum énergétique dans le canton de Vaud

Les éoliennes et les panneaux solaires, des solutions qui doivent permettre de renforcer l’autonomie énergétique des entreprises. — © KEYSTONE/Valentin Flauraud
Les éoliennes et les panneaux solaires, des solutions qui doivent permettre de renforcer l’autonomie énergétique des entreprises. — © KEYSTONE/Valentin Flauraud

Depuis Caux, un village au-dessus de Montreux, la vue sur le Léman était fantastique et claire jeudi. Dans son palace historique, les discours faisaient par contre état d’un brouillard inquiétant. L’ancien hôtel a accueilli des membres de l’Agence de l’énergie pour l’économie (Aenec), une fondation qui accompagne les entreprises dans leur transition énergétique. Sur le front du gaz et de l’électricité, ces sources d’énergie qui pourraient venir à manquer cet hiver, des patrons cherchent en vain à savoir à quelle sauce ils seront mangés.

«Que le Conseil fédéral arrive au plus vite avec des instructions claires car, sans texte précis, c’est difficile de se préparer», tonne un entrepreneur. «Il nous manque une ligne directrice et des règles du jeu», fustige un autre. «On veut que des ordonnances soient publiées. C’est déjà largement trop tard pour se préparer», ajoute un industriel.

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La Suisse est au niveau un (sur quatre) d’un plan fédéral visant à faire face à cette crise: il consiste à réduire sa consommation de manière volontaire. Les trois autres niveaux sont plus contraignants. Ils vont jusqu’à un contingentement et à chaque fois les entreprises seraient les premières touchées. Le Conseil fédéral doit préciser la procédure à suivre en cas de pénurie et éventuellement fixer un objectif d’économies d’énergie pour diminuer les risques de contingentement. Ce qu’il tarde à faire.

Des PME et des multinationales s’inquiètent d’éventuelles mesures de délestage, d’autres craignent la flambée des prix. Des boulangers se disent prêts à préparer moins de ramequins, un plat qui consomme beaucoup d’énergie (celle des fours puis des frigidaires). Sans savoir si ce sera nécessaire. D’autres se demandent s’ils pourront utiliser leur groupe électrogène car Berne parle d’en solliciter.

Ordonnances attendues

Selon nos informations, le Conseil fédéral doit mettre en consultation une ordonnance sur le gaz le mercredi 16 novembre, tandis que celle sur l’électricité doit être soumise dans les trois prochaines semaines. Il faut ensuite compter en moyenne entre une semaine et un mois de débat pour qu’un texte soit adopté.

Parmi les entreprises présentes à Caux, on peut citer des horlogers (Rolex, Swatch), des firmes pharmaceutiques (de Merck Serono à OM Pharma), VARO, l’exploitant de la raffinerie de Cressier, Firmenich, Migros, des banques ou encore les Laiteries Réunies de Genève.

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Sur les prix de l’électricité, le Conseil fédéral a été clair: aucune mesure de soutien ne sera prise pour les entreprises sur le marché libre de l’électricité, même si elles sont plus exposées à la flambée des tarifs du kilowattheure, a-t-il annoncé la semaine dernière.

«Je regrette cette décision», indique Fabio Regazzi, le président de l’USAM. La plus grande faîtière de l’économie suisse avait proposé de permettre aux entreprises qui ont choisi le marché libre de l’électricité de retourner sur le marché captif sous certaines conditions, ce qui est pour l’heure illégal. Cet automne, Fabio Regazzi a déposé une motion au Conseil national reprenant ses propositions. «Mais je me rends bien compte que si elle est acceptée, ce sera trop tard pour les entreprises concernées», dit-il.

Avis bigarrés

L’association Swissmem soutient par contre la décision du Conseil fédéral pour des questions d’équité vis-à-vis des clients captifs. «Nous conseillons à nos membres [10% d’entre eux ont des contrats à échéance dans cette phase de prix élevés, ndlr] d’attendre avant de signer un nouveau contrat d’électricité, car les prix baissent, et d’acheter au jour le jour en attendant», indique Philippe Cordonier, son responsable en Suisse romande.

Ce contexte pousse les entreprises à renforcer leur autonomie énergétique et des réflexions ont été présentées dans ce cadre à Caux. Un arrêt des équipements en dehors des heures de production, une mise en veille de machines et une vérification de leurs réglages ou des systèmes de ventilation permettent souvent de rapidement générer des économies d’énergie significatives, ont indiqué des ingénieurs.

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Le directeur en Suisse romande d’Aee Suisse (la faîtière de l’économie des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique), Laurent Scacchi, a cité en exemple les panneaux thermiques de la PME genevoise TVP Solar, qui réduisent la consommation de mazout du groupe Emmi sans utiliser d’électricité. La pyrolyse de déchets, la production d’hydrogène à base d’excédent solaire et l’installation d’éoliennes dans des sites industriels sont aussi des solutions, selon lui.

«C’est légal d’installer des panneaux solaires sur des façades et des clôtures, et pas seulement sur les toits, ce qui peut être intéressant en hiver quand le soleil est rasant et que l’électricité manque. C’est légal de mettre une éolienne dans son jardin», souligne Laurent Scacchi. «Mais l’interprétation de la loi, selon des compréhensions et des intérêts personnels, freine trop de projets. L’intérêt de la production d’énergies renouvelables doit aller au-delà de la protection du paysage et du bâti. Il faut lever ces freins pour rattraper notre retard dans les énergies renouvelables, d’autant plus que la Suisse doit renforcer son autonomie énergétique.»

«Investir bien plus»

Dans les années 1960, l’équivalent de près de 4% du PIB suisse était investi dans l’électricité, une part qui n’a pas dépassé le demi-point de pourcentage ces dernières années, a relevé le conseiller national Roger Nordmann (PS/VD), présent à Caux. «Il va falloir investir bien plus ces prochaines années dans la transition énergétique et il faudra pour cela un fort soutien étatique car les entreprises ne pourront supporter ces coûts toutes seules», dit-il.

Depuis sa création en 2001, l’Aenec a conseillé 4200 entreprises en matière d’efficacité énergétique et leur a permis de réduire d’un quart leurs émissions de gaz à effet de serre. L’industrie figure ainsi parmi les bons élèves de la transition énergétique mais c’est pourtant elle qui risque aujourd’hui de pâtir le plus de la crise.