Soins infirmiers
Les soins infirmiers sont devenus une profession enseignée au niveau académique. A l’heure où le parlement hésite sur la manière de la revaloriser, visite d’une haute école qui a triplé le nombre de ses étudiants en quinze ans

Les clichés sont tenaces. Dans la tête des gens, l’infirmière, c’est encore «Miss pansement», voire «Miss piqûre». La réalité est bien différente. Au cœur de Lausanne, l’Institut et Haute Ecole de la santé La Source offre une formation académique débouchant sur un bachelor permettant d’accéder à l’exercice professionnel. Avec un l’effectif de 860 étudiants – dont 15% d’hommes – qui a triplé en quinze ans, elle est la plus grande des écoles romandes de soins infirmiers.
Sa fondatrice, l’écrivaine Valérie de Gasparin, avait vu juste lorsqu’elle ouvre en 1859 la première école laïque de gardes-malades du monde. «Elle avait déjà compris qu’il fallait passer des bonnes œuvres à un métier», relève son actuel directeur, Jacques Chapuis, par ailleurs vice-président du Secrétariat international des infirmiers et des infirmières de l’espace francophone (SIDIIEF). Garde-malade jusque dans les années 1900, auxiliaire du médecin jusque dans les années 1970, l’infirmière – respectivement l’infirmier – est aujourd’hui une soignante appelée à faire preuve d’autonomie et de leadership au cœur de réseaux de soins de moins en moins centrés sur l’hôpital.
Le Röstigraben de la formation
La formation des infirmières et infirmiers a toujours été un casse-tête en Suisse, marquée par un Röstigraben qui ne s’est jamais comblé. Lorsque, au début des années 2000, cette profession a été placée sous l’égide de la Confédération, celle-ci a renoncé à harmoniser les filières. Les Alémaniques ont opté pour l’école supérieure – une formation de trois ans dont la moitié du temps est consacrée à des stages pratiques –, que suivent 90% des étudiants. De leur côté, les six écoles romandes offrent une formation plus académique, celle d’une haute école spécialisée: un bachelor de trois ans précédé d’une année propédeutique. Ce titre permet d’accéder au master et au doctorat, ainsi qu’à de nombreuses spécialisations.
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Cette diversité des filières pourrait être une ode au fédéralisme si elle ne posait pas la question de la sécurité des patients. Ces dernières années, le monde des soins a été bousculé par l’arrivée de l’intelligence artificielle, mais aussi par la montée en puissance de la collaboration interprofessionnelle, qui peut être à la source d’une communication déficiente débouchant sur des «incidents critiques». A ce sujet, toutes les études se recoupent. «Les incidents critiques, qu’ils prennent la forme d’une erreur médicale ou de procédures inadaptées, coûtent 10% des coûts de la santé au niveau mondial», rappelle Jacques Chapuis. D’où la nécessité de placer cette formation au plus haut niveau.
Dans ce contexte, l’Institut et Haute Ecole de la santé La Source a encore développé un outil intégratif, celui de la pratique simulée. En 2012, elle avait déjà ouvert un premier centre à cet effet, mais elle a passé à l’échelon supérieur lorsqu’elle a inauguré en 2018, sur le site de Beaulieu actuellement encore en pleine rénovation, un hôpital simulé de 2500 m². Face aux étudiants, des acteurs et des mannequins qui les poussent dans leurs derniers retranchements, tout cela sous l’œil d’observateurs appelés à critiquer les exercices, vidéos à l’appui. Les futures infirmières – et infirmiers – sont ainsi mieux préparées à la réalité du terrain et mieux sensibilisées à l’importance de la relation patient-soignant. De plus, La Source est la première école en Suisse à avoir mis sur pied des modules d’innovation, réunissant des ingénieurs et le futur personnel soignant autour d’un projet de réalité virtuelle.
Un contre-projet encore «décevant»
Sur le plan politique, l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) a déposé une initiative populaire devant contribuer à relever le défi d’une Suisse qui manquera de 65 000 soignants à l’horizon 2030. Alors que les Chambres fédérales planchent laborieusement sur un contre-projet axé sur un montant d’environ 400 millions sur huit ans destiné aux cantons pour promouvoir la formation, le comité d’initiative ne cache pas sa déception. Deux de ses revendications sont encore loin d’être remplies, à savoir une meilleure dotation en personnel dans tous les établissements de soins et l’autonomisation de la profession. Un seul exemple: actuellement, les infirmières et infirmiers qui prodiguent des soins à domicile doivent encore se référer au médecin pour prescrire des bons de douche ou des bas de contention. «Le parlement propose un soutien financier à la formation alors que notre initiative vise à améliorer la sécurité des soins et les conditions de travail. Actuellement, je ne vois donc aucune raison de la retirer», déplore Jacques Chapuis, membre du comité d’initiative.
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La pénurie de main-d’œuvre, surtout dans les soins infirmiers spécialisés, n’est donc pas près de se résorber. Cela dit, on rencontre à La Source des étudiantes et étudiants tout feu tout flamme. «J’aime la diversité des spécialisations qu’offre cette profession désormais reconnue sur le plan académique», déclare Charlotte Schäublin, de Vevey. «C’est un métier en constante évolution, très exigeant car il demande beaucoup d’engagement, mais passionnant car nous travaillons avec des êtres humains», ajoute Caroline Saugy, de Lutry. Cette proximité avec les patients est particulièrement gratifiante. «J’apprécie la confiance que ceux-ci nous accordent», note pour sa part Kim-Mei Ung, de Nyon. D’où l’importance d’entretenir, voire de renforcer ce lien, ce qui n’est pas évident en ces temps de réduction des coûts. «La sécurité du patient est primordiale. Je m’aperçois que le travail administratif prend une place de plus en plus importante au détriment des soins qui constituent pourtant l’essence même de notre profession.»
Reste à savoir si ces futures soignantes et soignants déborderont toujours de la même énergie dans quinze ans, la durée d’exercice moyenne de ce métier avant qu’ils ne le quittent. «Malgré les grandes responsabilités dont elle est investie, l’infirmière est encore davantage reconnue pour sa gentillesse que pour son expertise», regrette Jacques Chapuis. C’est ce que le monde politique doit désormais comprendre.