En annonçant la semaine dernière son départ d’Epalinges (VD), Ingvar Kamprad a suscité de la part des autorités des réactions désolées mais rassurantes sur le plan fiscal. Le fondateur d’Ikea n’est qu’un bon contribuable parmi d’autres, faisait valoir Maurice Mischler, le syndic d’une commune qui ne s’attend pas à devoir diminuer son train de vie. Une autre conséquence était pudiquement passée sous silence: le jour venu, la succession de «l’homme le plus riche d’Europe» échappera au fisc vaudois. Le canton aurait-il laissé s’envoler le pactole?

Pascal Broulis, le patron des finances vaudoises, ne veut pas articuler de chiffres. Mais il n’apprécie pas que l’on minimise les conséquences d’un tel départ. «C’est une mauvaise nouvelle à trois niveaux, souligne-t-il. Pour l’image, puisqu’une personnalité reconnue à l’échelle planétaire quitte la Suisse. Pour la collectivité, puisque l’homme d’affaires a multiplié les dons généreux ces dernières années. Et bien sûr pour les caisses publiques, à travers les impôts annuels [son imposition au forfait rapporterait quelques centaines de milliers de francs, selon des indiscrétions publiées dans la presse ces dernières années, ndlr] et à travers la potentielle taxation de son héritage.»

La fortune d’Ingvar Kamprad a pu être estimée entre 20 et 40 milliards de francs. Appliquez-lui les 7% d’impôt vaudois sur les successions, et vous obtiendrez un montant propulsant l’Etat dans le nirvana.

Ce n’est malheureusement pas si simple. La majeure partie de cette fortune passe pour ne pas être domiciliée en Suisse. Du reste, après la toute récente réorganisation de la holding et des fondations Ikea, autour des trois fils Kamprad, la fortune personnelle du fondateur ne serait plus que d’une centaine de millions de francs. C’est en tout cas l’estimation publiée ces derniers jours par la presse suédoise, selon laquelle le patriarche aura comme revenu imposable dans son pays natal les intérêts de ce capital. A cette ­aune-là, l’impôt vaudois sur les successions pourrait ne rapporter qu’une dizaine de millions.

«C’est déjà énorme», s’exclame Pascal Broulis. Cela ne suffirait pourtant pas à faire les gros titres. Le canton de Vaud budgétise prudemment chaque année 80 millions de francs pour les recettes provenant des successions. Il encaisse rarement moins, souvent plus. De temps en temps une succession extraordinaire fait exploser la statistique. La dernière du genre est celle d’un riche Anglais de la Riviera, dont le décès a rapporté plus de 100 millions, de quoi permettre à Montreux d’éponger ses dettes.

Ironie de l’histoire: les ministres de la métropole lémanique s’appuient sur le départ du cas le plus célèbre, celui du fondateur d’Ikea, pour défendre l’imposition au forfait, attaquée aux niveaux cantonal, fédéral et international. L’apport de ces contribuables plutôt impopulaires est très important au moment de leur décès, soulignait vendredi le Genevois François Longchamp devant les sympathisants de l’association PME & Politique. Et d’en donner comme exemple ce que Vaud allait perdre avec le départ d’Ingvar Kamprad.

Vu de la caisse cantonale, «il faut en moyenne quinze contribuables ordinaires pour compenser un contribuable au forfait», calcule Pascal Broulis. Pour autant, l’Etat de Vaud n’aurait rien pu faire pour convaincre M. Kamprad de rester: «Il ne part pas pour des raisons fiscales, mais poussé par une profonde nostalgie», estime le grand argentier vaudois.

A cette aune-là, l’impôt vaudois sur les successions ne rapporterait qu’une dizaine de millions