«J’ai étudié le Coran; aujourd’hui, je suis athée»
L’Islam et moi
Jusqu’au 29 novembre, nous donnons la parole à des musulmans de Suisse, croyants ou non
“ Je suis né il y a 53 ans à Istanbul, dans une ville majoritairement musulmane où il y a beaucoup d’églises, certaines qui ont survécu comme églises, d’autres qui ont été transformées en mosquées et pour une partie, heureusement, à nouveau modifiées. J’ai appris à lire le Coran en arabe, je l’ai étudié et je le connais bien. Puis, vers 16-17 ans, je suis devenu athée. Je le suis resté. Je ne peux pas dire que je le resterai jusqu’à ma mort, on ne peut jamais être sûr de ce genre de chose. Mais lorsque je vois le climat de guerre de religion qui s’installe en ce début de XXIe siècle, je me dis que j’ai fait le bon choix.
Je suis venu en Suisse comme réfugié en 1985. Cela faisait cinq ans, depuis le coup d’Etat militaire de 1980, que je vivais dans la clandestinité. J’ai toujours été un peu Don Quichotte. En Suisse, j’ai travaillé dans le syndicat SIT, notamment avec les travailleurs migrants. J’ai contribué, je crois, à faire évoluer la discussion sur cette question, notamment en lançant des référendums qui ont permis, au moins, de susciter le débat.
Aujourd’hui, je me sens profondément suisse. J’ai deux enfants de 15 et 18 ans qui le sont, ma compagne l’est également. Mais je n’ai jamais demandé ma naturalisation. Je ne veux pas avoir une autre nationalité tant que je ne peux pas rentrer en Turquie, où des procédures pénales ouvertes contre moi pour des raisons politiques me menacent toujours. Oui, cela complique ma vie et c’est un peu paradoxal: dans mon travail de syndicaliste j’ai toujours encouragé les migrants à demander leur naturalisation. Mais c’est peut-être ma manière de dire qu’on peut participer positivement à la construction de la société suisse sans être suisse.
Je suis contre l’initiative anti-minarets. Tout ce qui attente à l’Etat laïc et à la liberté de croyance représente un appui à l’intégrisme. Car l’intégrisme commence lorsqu’on tente d’imposer son idée, même une idée majoritaire, à d’autres.
La majorité des croyants musulmans ne sont pas intégristes. Souvent, la religion leur a servi de structure d’accueil et de réseau de solidarité dans leur pays d’immigration. Seule l’islamisme politique est dangereux. Et il se nourrit du rejet. Pour le moment, ce mouvement est suffisamment minoritaire en Suisse pour avoir une capacité de nuisance quasi nulle. Une acceptation de l’initiative lui donnerait des ailes. ” Propos recueillis par Sylvie Arsever
Jusqu’au 29 novembre, «Le Temps» donne la parole à des musulmans de Suisse, croyants ou non. Plus sur: www.letemps.ch
L’islam et moi