Jamila et sa fille diabétique recherchent infirmière désespérément dans le Pays de Gex
France voisine
AbonnéLa région frontalière, aux portes de Genève, est un désert médical. Illustration avec cette maman qui chaque jour quitte son travail et se rend à l’école de son enfant pour lui faire sa piqûre d’insuline

Un petit appartement plutôt coquet à Ornex, tout près de Ferney-Voltaire. Le quartier est neuf. «Il y fait bon vivre», confie Jamila Tounsi. Jeune femme vive et souriante dont la vie n’est cependant pas des plus paisibles. Cette maman séparée de son conjoint est depuis près d’un an à la recherche d’une infirmière pour administrer à Layla, sa fille âgée de 4 ans, ses doses d’insuline quotidiennes. La pénurie de personnels médicaux et paramédicaux dans l’Ain et particulièrement dans le Pays de Gex la contraint à effectuer elle-même ces injections.
Il y a deux ans, Layla a été diagnostiquée «diabète de type 1». Elle a été équipée d’une pompe à insuline et d’un capteur pour régler sa glycémie. Jamila a dû quitter son métier d’agent immobilier pour s’occuper jour et nuit de sa fille. «Je n’ai pas eu une seule nuit complète de sommeil ces deux dernières années», dit-elle. Un «stage» de 15 jours avec sa fille à l’Hôpital d’Annecy l’a familiarisée avec la maladie auto-immune de Layla.
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L’équipe éducative ne peut pas faire les piqûres
Nouvelle donne en septembre: Layla a fait sa rentrée en section maternelle. Si l’équipe éducative peut pratiquer une surveillance de l’enfant et alerter si la pompe sonne, signe d’un trouble de la glycémie, les gestes médicaux relèvent d’une infirmière diplômée ou à défaut d’un membre de la famille formé à ces techniques. Jamila mesure chaque jour les conséquences de ce qui est communément appelé un désert médical.
Deux cabinets d’infirmières libérales à Ferney-Voltaire. Refus de celles-ci de prendre en charge Layla car elles sont surchargées. Et les horaires sont incompatibles. Il faut en effet piquer l’enfant vers midi. Un autre cabinet d’infirmières à Gex a fait savoir qu’Ornex était hors de son secteur. Olivier Deneuve, porte-parole pour l’Ain de la Fédération nationale des infirmières, explique: «Une loi datant de 1948 stipule que le cabinet ne doit pas se trouver à plus de 4 km de la commune d’affiliation du patient pour qu’une prise en charge par la sécurité sociale soit possible.» Des dérogations existent mais le processus est complexe.
Un déménagement en Suisse comme solution?
Jamila qui par chance vient de trouver à Gex un nouvel employeur compréhensif rythme ses journées avec un retour sur Ornex à midi. «Je pratique l’injection dans une salle de la maternelle, je dois ensuite consoler ma fille qui ne veut évidemment pas que je reparte et je reprends ma voiture pour retourner au travail. Idem vers 16h mais nous rentrons ensemble.» Elle a bien entendu alerté la Sécurité sociale, les élus d’Ornex et de Ferney-Voltaire, la députée du Pays de Gex, Olga Givernet, des maisons de retraite où officient des infirmières, des infirmières à la retraite aussi. Sans succès. Elle fait en ce moment circuler une pétition en ligne. «J’en suis à envisager de trouver un emploi en Suisse, m’y installer, y scolariser ma fille et ainsi enfin obtenir les services d’une infirmière», avoue-t-elle.
La Suisse est à la fois la bien et la mal-aimée. Les hauts salaires pratiqués aspirent les soignants: 7000 infirmières résidant en Haute-Savoie et dans l’Ain travaillent dans les cantons de Vaud et de Genève. Aux HUG, 63% des postes infirmiers sont occupés par des Français. «Pour espérer gagner 4000 euros par mois, salaire de début de carrière en Suisse, il faudrait que je travaille 70 heures par semaine», compare Olivier Deneuve qui depuis plus de vingt ans exerce en libéral à Viriat, non loin de Bourg-en-Bresse.
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6,4 médecins pour 10 000 habitants
Selon des chiffres fournis par le Conseil départemental, l’Ain se situe au 15e rang des départements français les plus démunis en professionnels de la santé. Il y a 6,4 médecins généralistes pour 10 000 habitants contre 8,9 au plan national. Phénomène amplifié dans le Pays de Gex, territoire réputé prospère, à la croissance démographique très forte (98 000 habitants). A Saint-Genis, 4,2 médecins pour 10 000 habitants. A Gex, 5,7. A Ferney-Voltaire, 6,2.
La pénurie, on l’a vu, touche aussi les infirmières. «L’attractivité de la Suisse et le coût de la vie très élevé dans notre région sont les principales explications», soupire la parlementaire Olga Givernet. Pas d’hôpital dans le Pays de Gex. Il faut se rendre à Saint-Julien-en-Genevois. La députée a obtenu l’installation d’un IRM à Saint-Genis-Pouilly, «ce qui est une belle avancée». En 2020, un centre de soins immédiats, structure entre le cabinet médical et le service d’urgences, a ouvert à Gex. Il ne désemplit pas. La députée réfléchit aux modalités pour rouvrir le droit d’option afin que les frontaliers qui le souhaitent puissent basculer sur l’assurance suisse et accéder ainsi plus facilement aux soins à Genève ou dans le canton de Vaud. C’est loin d’être acquis. Le Pays de Gex et la Haute-Savoie réclament une prime à la vie chère pour les fonctionnaires comme dans la couronne parisienne mais Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, en déplacement à Annecy récemment, a rejeté cette idée.
Du côté du département, un plan de lutte contre les déserts médicaux a été mis en place. Six cabines de téléconsultation ont été installées. Dix médecins seront salariés au sein de Maisons de santé pluriprofessionnelles. En collaboration avec la Faculté de médecine de Lyon, des frais d’internat pourraient être financés en contrepartie d’un engagement d’installation sur le territoire. Un guide d’hébergement a même été édité. En ce qui concerne les infirmiers, une formation de niveau master est offerte afin d’acquérir des compétences élargies pour suivre les patients en accord avec le médecin traitant. Mesure qui pourrait attirer certains professionnels, qui ne seront cependant pas opérationnels dès demain. Jamila Tounsi devrait encore cumuler un certain temps les fonctions de maman et de soignante.
Une (heureuse) mise à jour du 12 mars 2023
Bonne nouvelle depuis la première publication de cet article sur notre site, un lecteur du Temps, médecin à la retraite, a contacté Jamila pour administrer les piqûres d'insuline à sa fille.