Pierre-Yves Maillard, président du Conseil d’Etat vaudois, assistera mercredi à l’élection du Conseil fédéral, pour entourer le candidat Guy Parmelin. Il sera accompagné de trois autres membres du gouvernement cantonal, Pascal Broulis, Jacqueline de Quattro et Philippe Leuba

Votre présence à Berne le jour de l’élection du Conseil fédéral va-t-elle pour vous de soi?

Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Si un Vaudois est élu au Conseil fédéral, le président du gouvernement cantonal doit être là pour le saluer. C’est son rôle institutionnel. La présidente du Grand Conseil, Roxane Meyer, y sera également.

Au-delà de sa qualité de Vaudois, Guy Parmelin est-il le meilleur candidat? Ou plutôt un moindre mal?

J’ai beaucoup de décisions difficiles à prendre dans ma fonction et laisse volontiers celle-là aux élus fédéraux. Cela étant, M. Parmelin a de bons arguments par rapport à ses concurrents.

Lesquels?

Une certaine modération, sa capacité à travailler avec d’autres.

Est-il important que Vaud soit à nouveau représenté au Conseil fédéral?

C’est un atout, à condition que l’élu au Conseil fédéral défende les orientations majoritaires de son canton. Guy Parmelin n’offre pas cette garantie pour une question existentielle pour nous, celle de la libre circulation. Mais il a admis qu’il avait évolué sur sa droite, cela prouve au moins qu’il sait évoluer!

A propos de libre circulation, votre commentaire sur la décision prise vendredi par le Conseil fédéral?

Je reste persuadé qu’une solution convenue avec l’Union européenne (UE) est indispensable. Il est possible de prendre une certaine liberté avec le texte de l’initiative. Le père de celle-ci, Christoph Blocher, en convient lui-même.

Vaud et de Genève s’inquiètent beaucoup des conséquences de cette initiative sur leur croissance. Mais le modèle de développement lémanique est-il vraiment idéal?

Je suis pour une croissance maîtrisée, qui va de pair avec une augmentation de la population. Sinon, c’est la récession. Une immigration est nécessaire, mais ce doit être une immigration de complément, pas une immigration de substitution. Le frein bureaucratique à l’arrivée de personnes, que propose l’UDC, est un moyen inefficace. Le contrôle du marché du travail est le meilleur moyen pour éviter que la libre circulation ne tourne au dumping. Mais l’UDC est le plus opposé à ce contrôle du marché du travail.

Et le parlement plus à droite issu des élections fédérales n’ira guère dans ce sens…

Toute la question sera de savoir ce que fera le Parti libéral-radical (PLR). Autant que je sache, c’est le parti de l’économie. Il a mis mis au coeur de son programme la défense des bilatérales. Pas un élu ou candidat PLR qui ne rappelle qu’un franc sur deux est gagné par l’exportation. Mais ce parti est pris entre l’application de son programme et sa quête de pouvoir. Dans celle-ci, il passe son temps à essayer de nouer une alliance avec ceux qui sont aux antipodes de cette approche; avec ceux qui en veulent rompre les liens avec l’Europe et proposent comme alternative des marchés lointains et insuffisants. Or le décrochage avec l’Europe et sa monnaie nous plongent dans un risque de récession.

Vous lancez un appel au PLR?

Je veux croire que la logique politique peut l’emporter et qu’émergeront au PLR les forces qui cherchent à préserver un modèle économique. Cela passe par la négociation entre les forces de l’industrie et de l’exportation et le monde syndical et le parti socialiste.

En somme, «venez avec nous, au lieu d’aller vers eux»?

Il ne s’agit pas d'«aller ensemble», mais de responsabilité envers le pays dans une phase difficile de son développement. Je suis marqué par la décennie de stagnation des années nonante et je vois à quelques signaux qu’on pourrait retomber dans une telle séquence. Veut-on redire la messe? Souvenez-vous: endettement, polarisation politique, programme de privatisations qui n’a pas été appliqué, le peuple n’en ayant pas voulu. Depuis que la droite a renoncé à cet agenda-là, nous avons connu une décennie favorable de croissance économique. La gauche et le mouvement syndical doivent se rendre disponibles pour une négociation, dans la défense équitable des intérêts des uns et des autres.

La gauche sort tout de même affaiblie des élections fédérales.

Elle sort globalement un peu affaiblie. Le fait que la droite a été moins néo-libérale lui a ramené une partie de son électorat modéré. On l’a vu clairement dans notre canton: le PS et la gauche ont pu réaliser des choses, développer l’État social, les investissements et les services publics. Le tout sans affaiblir les finances, ni la croissance. D’un point de vue politicien, je remarque que les années nonante ont été favorables à la gauche. Avec une droite agressive, une partie de l’électorat centriste est allé vers les Verts. Si je plaide pour que la droite soit ouverte à un compromis avec nous, c’est dans l’intérêt général. Je sais pertinemment qu’avec une droite agressive, nous ferons probablement 2% ou 3% de plus aux prochaines élections.

Il y a le vote populaire qui passe à l’UDC…

On dit que l’UDC est devenu parti ouvrier, je ne le pense pas. Ce parti est fort dans les bas revenus, ce qui n’est pas la même chose. Il est plus fort aussi chez les retraités que dans le reste de la population. Mais il faut aussi démasquer un slogan mensonger: celui qui dit que le PS s’embourgeoiserait. Les dimanches d’élections et de votations, ce sont les résultats de Lausanne, de Renens, d’Yverdon ou de Ste-Croix que nous attendons avec impatience, pas ceux de Jouxtens ou de St-Sulpice. Je sais que ce n’est pas le cas pour tous les cantons, mais, sur la durée, le PS n’a rien perdu dans le canton de Vaud. Bien sûr, une partie du monde du travail est tentée par l’UDC, en raison de la concurrence des immigrés sur le marché du travail. La gauche doit certes être le parti d’un Etat stratège, d’un service public fort et donc d’une fonction publique bien protégée, mais elle ne doit pas oublier qu’elle est aussi le parti du salariat privé.

Sur quoi porteraient les accords négociés que vous appelez de vos voeux?

Sur les sujets dont on ne parle jamais en période électorale mais qui sont pour moi les grands enjeux de demain. Je pense au vieillissement de la population, au choc démographique, au financement des assurances sociales et de l’assurance maladie, où rien n’est réglé. Dans le canton de Vaud, on prévoit le doublement de la population de plus de huitante ans dans les quinze prochaines années. L’impact sur les systèmes de soin sera colossal. La croissance des primes va continuer. Elle accable les ménages, affaiblit la classe moyenne. Pas un mot de tout cela dans le débat fédéral! Dans le domaine des infrastructures, on vit encore largement sur l’acquis des années 60-70, en ramant pour rattraper les retards. Je vois aussi des risques graves dans le domaine de l’énergie.

Comment cela?

Il ne se construit pas une seule éolienne, l’énergie renouvelable est au point mort et le secteur hydraulique est menacé. Une de nos grandes sociétés, Alpiq, est en grandes difficultés. Elle liquide ses actifs pour financer des pertes purement comptables, liées à des normes absurdes et à un marché libéralisé où les prix s’effondrent. Bientôt, ces entreprises n’auront plus que les barrages à vendre! On doit aussi parler du franc fort. On nous avait dit «ça ira», mais ça ne va pas du tout. Sulzer est passé en mains russes, après d’autres fleurons industriels vendus au plus offrant et donc fragilisés dans leur implantation dans notre pays. On se gausse de la France, mais le massacre de l’emploi industriel a commencé chez nous aussi. Les trois personnes qui composent le directoire de la Banque nationale suisse (BNS) n’ont pas d’égard pour cette évolution et on ne réagit pas.

Ce n’est pas très gai..

Je ne tiens pas à semer le pessimisme dans le pays, qui nous a du reste habitués à démentir les pronostics les plus sombres. Mais il y a un vrai besoin que des forces politiques sortent des jeux de pouvoir pour parler de cela. J’y reviens: le patronat helvétique, ou ce qu’il en reste, devrait se réveiller et se mettre à disposition d’une stratégie économique et sociale concertée. Il y eut un temps où des personnalités comme un Couchepin et un Bodenmann trouvaient des solutions communes. On ne sait plus si l’un a fait gagner le PS et l’autre les radicaux, mais on se souvient qu’ils ont mis en oeuvre les bilatérales ou les transversales alpines. Il serait temps de retrouver quelques figures de cette trempe. Que retienda-t-on de l’oeuvre de M. Blocher pour la Suisse?.

Comment avez-vous vécu les attentats de Paris?

Comme tout le monde. On est horrifié par ces actes insensés, par la croissance du nombre des victimes.

Réagissant à ces attentats, vous disiez que la gauche avait un problème, entre le respect des minorités et la défense de la laïcité.

Cette question n’est pas directement liée à ces attentats. Avant eux, après eux, je pense que le fanatisme, qu’il provienne de groupes minoritaires ou majoritaires, ne doit pas être tolérable. Il n’est pas l’apanage des seuls islamistes. Toutes les forces progressistes doivent lutter contre le fanatisme et toutes ses formes d’expression.

La gauche peut-elle se positionner pour plus de sécurité sans glisser vers les positions de l’UDC?

Nous sommes des conquérants historiques de la liberté. Les libertés publiques et démocratiques ont été conquises et étendues aux ouvriers, qui en étaient longtemps exclus. Mais quand la liberté, qui est donc au coeur de nos valeurs, subit des attaques graves à ce point, par le terrorisme, par le fanatisme, il faut qu’on puisse la défendre.

Comment?

En donnant des moyens à l’État démocratique. L’information et le renseignement sont parmi les seuls moyens que l’on a pour lutter contre des agressions aussi indifférenciées et pour identifier leurs préparatifs. Quand le Conseil fédéral nous propose une loi sur le renseignement raisonnable, il faut l’accepter.

La LRens est pourtant un sujet de division dans votre parti…

Il y a chez nous encore beaucoup de positionnements qui sont liés aux années 70-80. C'est un processus difficile pour un parti de garder une certaine constance et en même temps de tenir compte des réalités nouvelles. Cela ne se fait pas du jour au lendemain.

Si M. Parmelin est élu, cela barrera la route à d’autres Romands pour de prochaines échéances. Etes-vous parmi ceux-ci?

Non. Ce n’est pas le genre de plaisir que l’on s’accorde deux fois! J’ai été candidat, j’estimais que c’était normal de l’être vu la situation. Ce n’est pas pour moi une obsession. Je suis content du Conseil d’État, de la présidence, de mon département, du climat politique que l’on a construit.

Vous laissez planer le doute sur le Conseil d’État. Vous représenterez-vous en 2017 pour un quatrième mandat?

Il est normal que je me pose des questions, alors que j’entre dans ma douzième année. Les mandats politiques ce n’est pas comme n’importe quelle autre profession.

Qu’est-ce que vous feriez d’autre?

Je ne sais pas, c’est pour cela que je réfléchis! (rires).

Vous incarnez avec Pascal Broulis cette forme de gouvernement de concertation que l’on assimile à la présente période de «paix vaudoise». Mais un référendum contre la réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III), qui vous vise aussi, a abouti. Montrera-t-il les limites de ce modèle?

Les mêmes mouvements à l’oeuvre dans certains milieux syndicaux de la fonction publique avaient déjà lancé, il y a cinq ans, un référendum sur la précédente réforme fiscale, avec les mêmes arguments, démentis par le temps. Le résultat du vote avait été assez clair. Une partie des référendaires ne cherchent pas à gagner, mais à fracturer la gauche, c’est leur côté sectaire que je déplore. Cela dit, ce n’est pas parce qu’il y a un accord entre les principales forces politiques que tout le monde doit s’y rallier. C’est aussi ça, la démocratie!

Un socialiste qui porte un projet pouvant entraîner d’autres cantons dans une sorte de spirale de baisses fiscales, c’est piquant!

C’est le contraire! Le canton de Vaud a beaucoup de sociétés à statuts spéciaux. En éliminant ceux-ci, il procédera à une réduction de la concurrence fiscale. Pour faire cela, il faut bien unifier le taux, en le baissant pour les entreprises locales et en l’augmentant pour les multinationales. C’est une politique favorable à l’emploi, aux investissements dans l’outil de production. Nous y ajoutons des mesures sociales sans précédent, par exemple un bouclier social qui limite à 10% du revenu la charge de l’assurance maladie.

On dit «Brouillard et Malice». Cela vous irrite?

Parmi les slogans critiques, c’est l’un des plus jolis.

On ne sait plus bien qui est qui…

Il n’y a pas de doute. Chacun joue un rôle transparent, dans la cohérence de sa ligne politique. Broulis est un radical qui a le sens de l’État. Il était probablement assez malheureux lorsque son parti voulait privatiser la Banque cantonale vaudoise (BCV) dans les années 90. Cela crée une base de convergence qui dépasse nos deux personnes et qui a permis de rembourser la dette avant de relancer les investissements. Pour ma part, je ne suis ni trotskiste, ni communiste, mais un socialiste réformateur qui cherche à faire avancer nos causes.

La droite vaudoise relève la tête. Elle annonce qu’elle va attaquer l’augmentation des dépenses sociales. Cela vous fait peur?

J’ai pensé depuis le début que cela deviendrait plus difficile à l’approche des échéances. Nous avons réussi à réaliser les deux tiers, voire les trois quarts de notre programme de législature, pendant la période de grâce qu’on a eu. Ce sont les investissements dans le domaine ferroviaire, les EMS, les gymnases, le pénitentiaire. Nous avons assaini la caisse de pensions, trouvé un compromis sur Lavaux, fait passer toute une série de réformes. Les PC familles ont été soutenues par 60% du peuple à leur création. Si la droite veut agresser ces politiques qui marchent, ça ne me dérange pas. Je ne suis pas sûr que cela soit un bon calcul pour elle.

Les dépenses sociales dépassent les dépenses de formation…

On ne sait jamais ce que l’on compte là-dedans. Les 10 millions pour la réinsérer les jeunes à l’aide sociale en en faisant des apprentis, est-ce du social ou de la formation? J’invite d’autre part tous les élus de droite à compter combien de personnes de leur entourage sont en EMS ou reçoivent de l’aide à domicile. S’ils trouvent que ces proches sont trop bien traités, qu’ils le disent! Les dépenses sociales augmentent à cause de l’augmentation de la population âgée et des coûts de la santé. Les subsides LAMAL augmentent de 4%, sans que les prestations soient améliorées. Le taux des personnes à l’aide sociale baisse, par rapport à la population, mais on doit faire mieux. Mon collègue Philippe Leuba, en charge de la réinsertion sur le marché du travail, en est conscient et nous travaillons ensemble.

On parle de la génération Maillard pour des gens formés par vous, gravitant autour de vous et qui se trouvent aujourd’hui dans des positions importantes. Mais cela ressemble aussi à un petit clan qui se distribue parmi postes et ambitions.

Il vaut mieux être amis qu’en compétition les uns contre les autres. Ce faux débat va être très vite dépassé. Nous avons des trentenaires qui montent et dont on va parler. Comme Roxane Meyer, la présidente du Grand Conseil, Nicolas Rochat Fernandez, le chef du groupe au Grand Conseil, Olivier Barraud, candidat à la Municipalité de Moudon, Jessica Jaccoud, députée de Nyon.

Voyez-vous Géraldine Savary en conseillère d’Etat en même temps que Grégoire Junod, son mari, en syndic de Lausanne?

Inutile de débattre d’un sujet qui ne se pose pas encore, l’une venant de commencer un nouveau mandat de sénatrice et l’autre n’étant pas encore élu. Il n'y a pas d’impossibilité légale. Le cas échéant, les intéressés, leur parti et le peuple donneront leur réponse.