Le physicien Joël Mesot a pris la présidence de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, l’EPFZ, le 1er janvier. Il succède à Lino Guzzella, qui a quitté ce poste après un unique mandat de quatre ans.

Né à Genève, originaire de Fribourg, Joël Mesot a dirigé durant dix ans l’institut Paul Scherrer (PSI) et enseigné à l’EPFL et à l’EPFZ. Son nouveau rôle ne manque pas de défis. Incertitude sur l’avenir des relations entre la Suisse et l’UE et ses conséquences sur la recherche, concurrence entre les EPF en Suisse et à l’international. Sans compter que l’EPFZ, toujours en pointe dans les classements mondiaux, a connu des turbulences à l’interne comme l’ont montré plusieurs accusations de mobbing visant des professeurs, révélés au cours des derniers mois.

Lors de sa nomination: Le Genevois Joël Mesot présidera l’EPFZ

Le Temps: Un Romand à la tête de l’EPFZ, qu’est-ce que cela va changer?

Joel Mesot: J’ai 54 ans et j’ai passé dix-huit ans en Suisse romande, le reste du temps en dehors. Donc je me sens plus citoyen suisse que romand. Mais je comprends les deux cultures, ça aide à créer des ponts. Les liens sont déjà très forts avec la Suisse romande et nous allons encore les développer. On a déjà commencé à en parler avec Martin Vetterli.

Comment décririez-vous votre style de management?

Je suis une personne de collaboration, je délègue et je ne fais pas de micro-management. On dit de moi que je suis généreux: je fais attention à donner à chacun l’opportunité de se développer.

Votre prédécesseur n’a fait qu’un mandat, c’est rare dans les écoles polytechniques. La période a été agitée, avec diverses affaires de mobbing. Un quart de vos doctorants disent avoir subi des abus de pouvoir d’un supérieur. Y a-t-il un climat à rétablir dans la maison?

Il est important de protéger tous nos employés, pas seulement les doctorants, aussi les professeurs et le personnel administratif. C’est un sujet qui nous préoccupe, mais déjà beaucoup a été fait sous le président précédent. Je suis encore en train de découvrir l’EPFZ et ne peux en dire beaucoup plus pour l’instant, en dehors du fait qu’une institution comme l’EPFZ est constamment en train de se renouveler.

Dans quel sens doit aller le changement, est-ce la culture de l’institution qu’il faut revoir?

Dans mon discours d’arrivée le premier jour, j’ai comparé l’EPFZ avec l’organisation de la Suisse, les instituts sont comme les communes; les départements comme les cantons. Cette forme de subsidiarité est très importante à mes yeux.

Le fait que des plaintes émergent est-il le signe d’un changement d’époque? Le temps où les doctorants et les étudiants se laissaient faire pour le prestige d’un poste à l’EPFZ est-il révolu?

Les attentes des jeunes ont sans doute évolué mais faire un doctorat reste une tâche difficile. Et la grande majorité des doctorants sont contents.

Il y a quand même un quart des étudiants qui estime avoir subi des abus de pouvoir de la part de leurs supérieurs…

Vous faites référence à une enquête qui a été menée l’année passée. Je ne peux m’exprimer sur les chiffres concrets mais il est clair que nous voulons un climat positif et que nous nous efforçons d’adresser les questions ouvertes.

Faut-il changer le statut des professeurs, ont-ils trop de pouvoir?

Nous devrons mieux soutenir les professeurs, surtout les jeunes, qui n’ont pas beaucoup d’expérience de leadership. J’aimerais que tous les professeurs suivent des cours de gestion du personnel. On attire des professeurs excellents, ils obtiennent des bourses du Conseil européen de la recherche (ERC), du Fonds national, des projets avec des entreprises et se retrouvent propulsés à la tête de groupes relativement grands. Mais la question du statut est délicate: l’assurance pour les professeurs d’avoir un job quasiment permanent est très importante pour la recherche à long terme. Grâce à cela, ils peuvent prendre des risques en recherche. Pour un pays comme la Suisse qui n’a que la recherche comme ressource, il faut faire attention à maintenir ces conditions.

Une tribune de Martin Vetterli: Du bon usage d’une Ecole polytechnique fédérale

La proportion de professeures reste faible. Comptez-vous y remédier?

Augmenter le nombre de professeures est une priorité. La concurrence est forte, les quelques femmes en recherche sont sollicitées par toutes les universités qui ont toutes des programmes pour les attirer. Il ne faut pas seulement miser sur les moyens, mais aussi sur tous les supports qu’on peut mettre en place. Par exemple, par le biais d’un service «Dual carreer» (ndlr: programme aidant les conjoints d'un(e) employé(e) récemment embauché(e) à l'EPFZ à s'insérer professionnellement en Suisse) que l’on peut encore développer.

Cela fait dix-quinze ans que c’est une priorité, or on a actuellement seulement 15% de postes de professeures. Que peut-on faire?

Promouvoir les personnes à l’interne, en passant par exemple par les tenure track (ndlr: processus par lequel un(e) professeur(e) auxiliaire est promu(e) associé(e) puis ordinaire, accédant à une sécurité de l'emploi maximale).

Pourquoi est-ce important à vos yeux?

C’est une question de ressources! Le recrutement devient de plus en plus difficile et compétitif. Ignorer 50% de la population n’a pas de sens. En outre, une école a intérêt à favoriser la diversité, qui n’est d’ailleurs pas qu’une affaire de femmes. Quand j’étudiais à l’EPFZ, on était de nombreux Romands. Ce pourcentage a chuté en trente ans, signe du succès de l’EPFL. Mais c’est mauvais pour la cohésion nationale. Nous prenons notre rôle d’institution nationale au sérieux et nous allons essayer, avec Martin Vetterli, de mettre en place des bourses pour favoriser les échanges entre la Suisse romande et alémanique. Autre source de soucis: le nombre de personnes qui viennent de milieux non universitaires a baissé, malgré toutes les possibilités d’étudier. Il faut casser ces plafonds de verre.

Vous venez d’arriver, Martin Vetterli est là depuis un an, la secrétaire d’Etat vient de commencer en janvier. La présidence du conseil des EPF va changer. Et le conseiller fédéral concerné change aussi. Est-ce l’occasion de rebattre les cartes?

Notre sortie d’Horizon 2020 en 2014 fut un choc pour nous tous. Nous avons alors reçu un soutien très fort du Conseil fédéral et du secrétaire d’Etat pendant la crise de 2014, qui n’ont pas ménagé les voyages à Bruxelles, ce qui a été essentiel pour notre réintégration. J’espère que ce soutien continuera dans le futur. Pour la Suisse, il n’y a pas d’autre voie que de développer l’éducation et la recherche. A tous les niveaux. Je suis un fan du système dual.

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En même temps, vous êtes sous la tutelle d’un ministre, Guy Parmelin, venant d’un parti qui critique constamment les budgets de la formation supérieure.

Il ne critique pas la formation…

Mais l’UDC conteste les montants…

Je n’ai pas encore rencontré Monsieur Parmelin en tant que ministre de tutelle. Il s’est beaucoup engagé dans le domaine du numérique et de la cybersécurité, je suis sûr qu’il continuera.

Les difficultés de la Suisse face à l’UE vont vous préoccuper ces prochains temps…

Oui, nous nous faisons beaucoup de soucis pour la recherche. Nous percevons des signes inquiétants, certains accords devraient être signés mais sont suspendus. Les instances européennes attendent de voir comment la situation évolue. Si la Suisse se trouvait à nouveau déconnectée des réseaux de recherche européens ou des fonds sur concours du European Research Council (ERC), ce serait un désastre. La recherche se fait de plus en plus par les réseaux. Un exemple, l’informatique quantique. A l’EPFZ, nous avons de nombreuses compétences en la matière. Mais sans réseau européen, au vu de la complexité de la matière, nous ne pouvons plus rien faire. Les meilleurs chercheurs viennent en Suisse aussi parce qu’ils peuvent concourir pour les bourses ERC.

Faut-il craindre une nouvelle crise, comme en 2014, après le vote sur l’initiative «Contre l’immigration de masse» et les mesures de rétorsion de l’UE?

Des chercheurs suisses avaient perdu la main sur des programmes qu’ils pilotaient jusqu’ici. Ce que nous entendons souvent en ce moment de la part de nos collègues européens, c’est: «Nous vous avons aidés à revenir, mais il ne faudrait pas que cela se passe encore une fois…»

Vous espérez donc malgré tout une issue positive pour l’accord-cadre?

Il faut aboutir à une solution stable pour la recherche. Nous allons devoir consacrer beaucoup de temps à expliquer notre position. Je vais à Bruxelles en février à ce sujet.

Bien d’autres pays investissent dans la recherche, en Asie notamment – et l’EPFZ est présente à Singapour. Ne pourriez-vous pas compenser l’affaiblissement européen en cherchant ailleurs?

Il y a déjà de nombreux partenariats avec l’Asie. Songez à l’accord de la Suisse avec la Chine. Mais ce ne sont pas les mêmes enjeux. Imaginez que l’on dise à l’industrie: vous arrêtez de commercer avec l’Europe. Ce n’est pas pensable. L’UE reste notre premier partenaire. N’oubliez pas que la recherche se joue sur le long terme: au moins vingt ans. Si nous perdons de l’attractivité aujourd’hui, nous en paierons la facture dans 20 ans. La Suisse investit énormément dans la recherche, mais le nombre d’étudiants a évolué deux fois plus vite que les budgets. Il faudrait songer à des ajustements.

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Zurich compte plusieurs centres de développement technologiques tels que Google. C’est un débouché mais aussi une concurrence pour attirer des chercheurs qui sont peut-être mieux payés dans des entreprises privées?

Ces centres représentent un gain, pas seulement pour Zurich mais pour toute la Suisse. Tous les pays européens aimeraient être dans cette situation. Ils viennent parce que nous produisons des étudiants de haute qualité. Et les flux vont dans les deux sens: nous collaborons avec ces centres de recherche. Des chercheurs qui ont travaillé chez Disney, Google, ou Microsoft.

Mais ils vous piquent aussi des chercheurs…

Quel est le but de l’EPFZ? Former des gens pour l’industrie, pas uniquement des chercheurs. S’ils nous en piquent, cela signifie qu’on a réussi notre mission.

Pensez-vous que les écoles polytechniques doivent s’impliquer davantage dans des questions de société?

Nous avons le devoir de nous impliquer et de transmettre des connaissances, des compétences, pour informer la société et les politiques. Des chercheurs de l’EPFZ participent aux recherches du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Nous devons aussi utiliser davantage nos centres de compétences pour intensifier les échanges avec la société.

On observe une remise en question de vérités établies, une propagation de la désinformation et des théories du complot. Comment réagir?

C’est compliqué. Il y a 10 ans, je recevais des lettres abracadabrantes. Elles n’avaient aucun impact. Avec les réseaux sociaux, ces idées sont disséminées et prennent une nouvelle ampleur. La réponse se situe au niveau de l’éducation: nous devons apprendre aux jeunes à se montrer critiques. C’est la base du scientifique.

Il y a quand même un changement d’échelle: même le président de la première puissance mondiale remet en question des faits scientifiques. Ne craignez-vous pas que les choses se corsent pour vous, scientifiques?

J’ai des liens étroits avec les Etats-Unis, je vois ce qu’il se passe, ce n’est pas rassurant, il faut juste espérer que ce soit temporaire. Mais je n’observe rien de similaire en Suisse. Peut-être est-ce lié à notre type de démocratie: notre système nous responsabilise et nous prémunit contre la désinformation. Les citoyens prennent le temps de s’informer sur des thèmes complexes pour voter, ils peuvent s’approprier les sujets.

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Nous sommes dans un contexte de montée d’une méfiance à l’égard des élites. Vos collaborateurs font clairement partie de l’élite. Redoutez-vous un climat moins sympathique?

Pour l’instant, non. Je ne suis là que depuis une semaine, ça viendra peut-être. Mais à travers les contacts que j’ai eus à l’extérieur, je sens un climat très positif à notre égard. Je crois que la population se rend compte de tout ce que l’EPFZ apporte à la Suisse: les principaux développements techniques historiques réalisés en Suisse – ponts, tunnels, réseaux ferroviaires – l’ont été conjointement avec l’EPFZ.

On parle souvent de la numérisation comme d’un enjeu crucial pour la Suisse, mais pourquoi est-ce important?

C’est important ne serait-ce que pour l’efficacité de notre industrie. Les banques et les administrations se dotent également de systèmes entièrement numériques. La Suisse, avec son niveau d’éducation et ses bonnes infrastructures, dispose d’un terrain extrêmement favorable au développement de la numérisation. Nous avons l’opportunité de développer des technologies qui peuvent avoir un impact mondial. Trop souvent, nous sommes forts pour le premier pas, moins pour la suite. Par exemple, le photovoltaïque a été fabriqué à Neuchâtel, mais on n’y trouve plus aucune production. Idem pour les montres numériques: elles ont aussi été développées à Neuchâtel. Puis on a dû racheter les brevets aux Japonais quand on a compris que c’était intéressant. Il ne faudrait pas refaire les mêmes erreurs.