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Jolanda Spiess, à l’épreuve de la haine

L’ancienne députée verte du parlement zougois a été la cible d’un déchaînement d’hostilités après avoir été exposée dans une affaire liée à une soirée qui reste pleine d'inconnues

Jolanda Spiess-Heggelin. — © Thierry Porcher pour Le Temps
Jolanda Spiess-Heggelin. — © Thierry Porcher pour Le Temps

Pendant quatre jours, «Le Temps» dresse le portrait de personnes qui, après avoir connu les affres d’une longue traversée du désert, sont parvenues à rebondir.

Les trois premiers volets:

A 34 ans, Jolanda Spiess-Hegglin avait un avenir politique prometteur devant elle. En hiver 2014, elle venait d’être élue au parlement, à Zoug, avec le meilleur score de son parti, les Verts, dans un législatif dominé par la droite. On l’imaginait déjà à Berne. Jusqu’à ce 20 décembre 2014, lorsque son nom est associé au scandale.

Quatre ans plus tard, dans son petit bureau au-dessus de Zoug, elle décortique le passé, avec un mélange de patience et d’empressement. Ce soir-là elle participe avec le monde politique local à une fête donnée en l’honneur du nouveau président du gouvernement cantonal. Le lendemain matin, elle se réveille chez elle, avec «d’atroces douleurs dans le bas-ventre». Elle a beau fouiller dans sa mémoire, elle ne sait pas ce qu’il s’est passé. Pourtant, elle a bu modérément, affirme-t-elle.

«J’ignore encore aujourd’hui comment je suis rentrée à la maison.» Très vite pointe la suspicion d’avoir été droguée au GHB. A 10h, elle entre à l’hôpital et réclame des tests de sang et d’urine. Les services sont débordés. Les analyses ne seront réalisées que neuf heures plus tard. Aux médecins et à la police, elle parle de son dernier souvenir: la bouteille de vin posée sur la table. Un collègue du Grand Conseil, le président de l’UDC zougoise Markus Hürlimann, qui remplit son verre. Jolanda Spiess-Hegglin rentre de l’hôpital, sonnée. Mais son calvaire ne fait que commencer.

Déferlement médiatique

Entre-temps, Markus Hürlimann est arrêté, passe la nuit en prison. Il nie depuis ce jour tout rapport non consenti. Tous deux se retrouveront en une du Blick, avec noms et photos. C’est le début d’un déchaînement médiatique. «Les premières menaces de mort anonymes sont arrivées le jour de Noël», se souvient Jolanda Spiess-Hegglin.

Mon parti m’a demandé de laisser tomber. J’étais descendue en flammes, brûlée

Jolanda Spiess-Hegglin

Début 2015, les journaux de tout le pays relaient l’affaire et sont sur le qui-vive lorsque tombent les résultats du laboratoire. L’examen gynécologique révélera la présence dans son corps et sur ses sous-vêtements de deux ADN étrangers, celui de Markus Hürlimann et un autre, jamais identifié. Aucune trace de GHB. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y en ait pas eu: la substance peut disparaître du corps en quelques heures. «Mais pour moi, c’était fatal. J’ai perdu tout soutien», raconte Jolanda Spiess-Hegglin.

Markus Hürlimann dépose plainte contre elle pour calomnie, diffamation et fausse accusation. L’affaire devient, dans le discours public, une coucherie entre adversaires politiques. On raconte qu’elle a accusé son collègue pour cacher un écart de conduite et sauver son mariage. Elle conteste, persiste à raconter sa version dans les médias. «Je voulais me battre pour rétablir la vérité. Mais en me montrant offensive, je ne correspondais pas à l’image d’une victime.»

Jolanda Spiess-Hegglin se considère aussi comme une victime des médias: «A un moment, ils ont cessé de chercher les faits. Ils n’ont fait que commenter.» Après chaque nouvelle apparition publique, les invectives s’intensifient, par e-mail, sur les réseaux sociaux, dans sa boîte postale, au parlement. «Quand je venais aux séances, on me tendait un paquet de lettres anonymes. Que des messages de haine.»

«Tout affronter»

Sa famille politique prend ses distances. «Mon parti m’a demandé de laisser tomber. J’étais descendue en flammes, brûlée.» Ses nuits sont hantées par les cauchemars et les pensées suicidaires. Elle sera en arrêt maladie durant un an. Mais Jolanda Spiess-Hegglin décide de retourner siéger au parlement, coûte que coûte.

Cette stratégie d’exposition, elle l’a décidée en concertation avec une psychologue, à qui elle a rendu visite pendant quatre mois lorsqu’elle était au plus bas. L’analyste diagnostique un choc post-traumatique en trois temps: les événements de la soirée effacés de sa mémoire; l’extrême médiatisation; la haine sur les réseaux sociaux. «Elle m’a encouragée à tout affronter.»

En automne 2015, Jolanda Spiess-Hegglin décidera toutefois de ne pas poursuivre la procédure juridique. «J’étais à bout de forces. Et j’ai réalisé que, sans preuve de la présence de drogue, j’avais peu de chances de gagner au tribunal.» Deux ans après les faits, elle finira par quitter le Grand Conseil. «J’étais trop isolée politiquement.»

L’affaire connaîtra un épilogue juridique en mars 2018 sous la forme d’un arrangement. Jolanda Spiess-Hegglin s’engage à ne pas s’exprimer de manière à laisser entendre qu’elle a été victime d’une infraction pénale commise par Markus Hürlimann. En contrepartie, celui-ci retire les demandes de sanction pour diffamation et calomnie. Deux mois plus tard, le Ministère public zougois estime que Jolanda Spiess, convaincue d’avoir subi des rapports non consentis, n’a pas pu mentir, et met fin à l’enquête pour fausse accusation.

Au secours des victimes de harcèlement

La jeune mère remontera la pente en s’accrochant à ses trois enfants et à son mari. «Il ne m’a pas lâchée. Au contraire, cette histoire nous a rapprochés.» Grâce, aussi, au soutien de son employeur et mentor politique d’alors, l’avocat Hanspeter Uster. L’ancien conseiller d’Etat avait été grièvement blessé lors de la tuerie de 2001 au parlement zougois. «Il voyait bien que je n’étais pas à mon affaire, pourtant il m’a permis de rester à mon poste. Il savait à quel point c’était important.»

Un jour, en 2016, Jolanda Spiess-Heggelin va voir un hypnothérapeute dans l’espoir, dit-elle, de faire revenir à sa mémoire les événements survenus durant la nuit du 20 au 21 décembre 2014. «Je n’y suis pas parvenue, peut-être parce que j’avais trop peur.» Mais elle sort de cette plongée introspective avec un nouvel élan et la conviction que son expérience peut servir à d’autres. C’est ainsi qu’est née son association Netzcourage, une plateforme d’aide aux victimes de haine sur les réseaux sociaux.

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Elle commence par déposer plainte contre ceux qui l’insultent sur internet. Puis elle se met à accompagner d’autres personnes victimes de cyberharcèlement. Jolanda Spiess-Heggelin a sollicité la justice à 180 reprises, près de la moitié pour des tiers. Résultat: 50 condamnations à des amendes entre 800 et 1500 francs. Et 80 accords à l’amiable. «Souvent, il n’est pas nécessaire d’aller au tribunal. Je rencontre les gens autour d’un café. Ils repartent en me disant que je ne suis pas celle qu’ils pensaient. Le plus étrange, c’est qu’en quatre ans, après des milliers d’insultes sur internet, jamais personne ne m’a insultée dans la rue.»

Profil

5 octobre 2014: élection au parlement cantonal de Zoug pour les Verts.

20 décembre 2014: fête pour le nouveau président du gouvernement cantonal.

24 décembre 2014: premier article du «Blick» sur l’affaire.

Août 2015: abandon des poursuites contre Markus Hürlimann pour actes sexuels commis sur une personne incapable de discernement.

Octobre 2016: Jolanda Spiess-Hegglin crée Netzcourage, plateforme d’aide aux victimes de harcèlement et de haine sur les réseaux .

Mai 2018: la procédure contre Jolanda Spiess pour fausse accusation est close.