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Joseph Deiss: «Serait-ce un mal d'acheter sans stress des habits en famille le dimanche?»

Joseph Deiss place plusieurs dossiers dans une approche globale de la politique de croissance.

L'automne s'annonce chargé pour le ministre de l'Economie, premier concerné par les votations du 27 novembre et impliqué dans les négociations à l'OMC ainsi que dans plusieurs accords de libre-échange. Entretien.

Le Temps: Le 27 novembre, le peuple est appelé à se prononcer sur l'ouverture dominicale des magasins et sur un moratoire sur les OGM, deux dossiers qui relèvent de votre département. Quels en sont les enjeux économiques?

Joseph Deiss: L'attrait que la Suisse représente comme lieu de production et de travail. Le moratoire sur le génie génétique est en soi inutile dans la mesure où la loi est déjà suffisamment sévère. Mais son adoption le 27 novembre montrerait à l'extérieur que la Suisse est critique face aux nouvelles technologies et inciterait les entreprises innovatrices à aller développer leurs activités ailleurs. Je ne le souhaite évidemment pas. S'agissant des commerces, l'impact économique est moins important puisque cela ne concerne que les gares et les aéroports. Cependant, la votation est un indicateur de la volonté des Suisses d'offrir des emplois lorsque les conditions d'encadrement sont raisonnables.

  • Vous ne faites tout de même pas de ce scrutin un pilier de votre programme de croissance économique?

  • Mon programme de croissance économique est composé d'éléments qui, pris séparément, ne suffisent pas à renverser la vapeur. C'est un tout et chaque élément y apporte sa contribution. On a trop longtemps agi en considérant chaque réforme isolément et en trouvant une bonne excuse à chaque infraction aux principes économiques. Il faut réfléchir de manière globale. Les votations du 27 novembre contribuent à cette réflexion.

  • On a le sentiment que le résultat ne sera guère différent si un oui ou si un non sort des urnes. Les procédures sont déjà sévères pour autoriser l'usage d'OGM et l'ouverture des commerces ne concerne que les aéroports et 25 gares. Partagez-vous ce sentiment?

  • Non. Il est vrai que, comme la loi est déjà sévère, les procédures d'autorisation pour le génie génétique nécessitent de toute manière plusieurs années. Mais l'initiative est incomplète. Si elle est acceptée, comment expliquerez-vous aux gens que la culture de plantes OGM est interdite mais pas l'importation de fourrages OGM? Cette initiative nuit à notre économie. Il faut donc lui opposer un non clair.

  • Si la modification de la loi sur le travail est rejetée, les commerces les plus fréquentés des gares, kiosques, magasins de fleurs, boulangeries, pharmacies, pourront quand même continuer d'ouvrir leurs portes le dimanche. Cela ne changera donc pas grand-chose.

  • Une partie des commerces pourront en effet fonctionner comme aujourd'hui. Mais le droit d'ouvrir le dimanche continuerait d'être défini par les tribunaux, qui acceptent que l'on vende des fleurs le dimanche, mais pas des chaussures ni du vin. Notre projet propose de définir les commerces autrement que par l'assortiment. Ce ne sont plus les produits vendus qui sont déterminants, mais l'emplacement du commerce. Je rappelle que, après la décision du Tribunal fédéral dans le cas de la galerie marchande de la gare de Zurich, on vit sous un régime d'autorisations provisoires délivrées par le Seco dans l'attente du résultat de la votation du 27 novembre. En d'autres termes, si le peuple refuse la loi, des commerces devront fermer car ils ne proposent pas l'assortiment décidé par le TF. La société est doublement perdante: des employés perdront leur travail et le consommateur se verra restreint dans ses habitudes.

  • Si un oui sort des urnes, l'étape suivante sera-t-elle la généralisation du travail dominical?

  • Le Conseil fédéral n'a pas l'intention de remettre en question le principe du dimanche comme jour particulier réservé aux activités sociales, familiales et religieuses. Mais la société évolue et les habitudes changent. Il s'agit d'en tenir compte. Les jeunes apprécient de faire leurs achats le dimanche, certaines familles n'ont pas d'autre choix. Notre projet tient compte de l'évolution des mœurs de notre société, par exemple je ne vois pas ce qu'il y a de répréhensible à acheter sans stress des vêtements en famille le dimanche. Le dimanche est déjà un jour de travail pour 360000 personnes dans le pays. Le projet du 27 novembre en concerne 2000.

  • Une manifestation paysanne est agendée pour le 17 novembre. C'est la première fois depuis que vous êtes responsable du dossier. Annonce-t-elle des relations désormais difficiles entre le ministre de l'Economie et les milieux agricoles?

  • Depuis que j'ai repris ce Département, et par conséquent le dossier agricole, j'ai mené beaucoup de discussions avec tous les milieux qui représentent l'agriculture d'une manière ou d'une autre, et je crois pouvoir dire que je pratique un dialogue très ouvert, intense et positif. J'ai dès le départ choisi un parler vrai avec les paysans, je ne leur fais pas des promesses que je ne peux pas tenir, je ne leur brosse pas un tableau en rose et en bleu ciel. J'ai repris le dossier avec la politique agricole (PA)2003-2007, qui faisait déjà la part belle aux restructurations et m'a valu pas mal de critiques, notamment avec l'annonce de la suppression du contingentement laitier. On disait que cela n'allait pas marcher. Je constate qu'aujourd'hui, dans beaucoup de régions, les intéressés ont souhaité anticiper cette mesure. Je continuerai dans les mois qui viennent, et qui seront peut-être plus difficiles encore, à entretenir de bons rapports avec le monde agricole. Je défends les paysans au même titre que les autres secteurs de l'économie. J'ai aussi de la compréhension pour l'attitude des paysans. D'une part parce qu'on les soumet depuis des années à des restructurations importantes, et surtout par rapport à ceux qui traitent le dossier de l'agriculture à l'emporte-pièce, avec une simplification extrême. Mon message est de dire aux paysans: manifestez votre opinion quant à la politique agricole, défendez votre position, quitte à laisser sortir votre colère, mais faites-le selon les règles qui prévalent dans ce pays, c'est-à-dire selon des procédures démocratiques et pacifiques.

  • La possibilité d'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis fait très peur aux paysans. Ils ne sont pas les seuls à avoir de la peine à comprendre la dévotion que le Seco porte à un tel accord.

  • Cela n'est pas une question dedévotion. Le Seco fait son travail. C'est un sujet politique qui est du ressort du chef du Département ou du Conseil fédéral. Il appartient au Seco de mener les analyses nécessaires pour que le Conseil fédéral puisse prendre sa décision. Il est vrai qu'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis peut comporter des éléments difficiles pour certains secteurs de l'économie. Mais l'on ne peut pas non plus choisir de mettre la tête dans le sable quand il s'agit des relations avec nos partenaires les plus importants. Ma réflexion est partie de ce constat: nous avons travaillé ces années passées avec un certain succès à éliminer les discriminations issues des accords de libre-échange conclus par l'UE, par exemple dans la zone méditerranéenne. Nous avons nous aussi négocié des accords de ce type avec bon nombre de pays dans la région, ce qui est une excellente chose. Mais pourquoi donc ne pas songer à faire la même chose avec les Etats-Unis, qui sont notre deuxième partenaire économique? Pourquoi ne pas le faire avec le Japon, qui est également un partenaire très important, ou avec les pays émergents? C'est à partir de là que j'ai présenté, au début de cette année, une stratégie de politique économique extérieure plus offensive. Elle donne le cap à suivre, cible les priorités et recense les instruments. Dans ce cadre, il est légitime que nous examinions, avec les Américains, s'il y a un intérêt réciproque à conclure un accord de libre-échange. Ce n'est pas nécessairement facile d'y arriver, les pays des Caraïbes en ont fait l'expérience; le Congrès a ratifié un tel accord par 217 voix contre 215. Il y a maintenant une vingtaine de pays intéressés à conclure un accord avec les Etats-Unis, pendant la période de deux ans et demi durant laquelle la négociation est possible en vertu des pouvoirs spéciaux conférés au président. Il y a une «short list» de pays avec lesquels l'administration et les ténors du Congrès pensent pouvoir éventuellement conclure un accord. Nous avons réussi en quelques semaines à nous qualifier dans cette «short list», tentons au moins l'expérience d'analyser les possibilités d'un accord.

  • Un accord qui est encore loin d'être dans la poche.

  • Je préfère tenter une affaire difficile plutôt que de me voir reprocher par la suite de ne pas avoir essayé. Cette seule analyse nous a déjà permis d'apprendre beaucoup de choses sur nos relations avec les Etats-Unis. Rappelez-vous les critiques de certains au retour de mon voyage au Japon, lorsqu'on m'a reproché de rentrer les mains vides! Or nous avons pu annoncer mardi l'ouverture de négociations exploratoires entre le Japon et la Suisse. Le Japon se trouve dans une situation semblable à celle de la Suisse, du point de vue de la démographie, du vieillissement de la population, de l'agriculture, de la panne de croissance. A mon avis nous n'avions pas suffisamment soigné les relations avec ce pays. Nous avons vu que nos violons étaient joliment accordés à l'OMC sur le dossier agricole. Le Japon fait partie du G10 que je préside et cela m'a permis de rencontrer de plus en plus de monde. De fil en aiguille, nous avons pu mener des discussions, et les Japonais, qui étaient sceptiques au début, y ont aussi trouvé leur intérêt.

  • Est-ce qu'un accord avec les Etats-Unis ne poserait pas un problème avec l'UE, qui reste notre premier partenaire?

  • Il y a toujours des interférences possibles, mais cela ne doit pas nous empêcher d'aller aux plus loin des discussions exploratoires. Je n'ai pas le sentiment qu'un éventuel accord avec les Etats-Unis puisse mettre en péril les relations avec nos autres partenaires. Il y aura naturellement des questions à aborder dans la perspective triangulaire de nos rapports avec l'UE et les Etats-Unis. Mais nous avons des accords de libre-échange avec de nombreux autres pays et le problème se pose à chaque fois. Nous avons toujours trouvé des solutions.

  • L'adhésion à l'UE a été déclassée de but stratégique en simple option. Cela vous affecte-t-il, vous qui êtes toujours profilé sur la question européenne?

  • Il faut voir le côté positif plutôt que le côté diminutif de cette formule. En commission parlementaire, l'UDC voulait que le Conseil fédéral se range sur une position disant oui aux bilatérales, non à l'adhésion. Il faut être réaliste, la politique qui est actuellement faisable, c'est celle des accords bilatéraux. Et finalement la politique que le Conseil fédéral mène est celle que le peuple approuve. Le gouvernement a gagné à chaque fois. La seule chose qui m'afflige maintenant, c'est que les perdants voudraient transformer leur défaite en victoire.