«Expert, c'est beaucoup dire.» A la veille de son départ à la retraite, fin 2003, Hans Bosshard joue encore les modestes. Engagé en 1966 à la NZZ, où il n'a pas, et de loin, traité uniquement des sujets liés au rail, il envisage cette nouvelle phase de sa vie sans nostalgie apparente. Début janvier, il sera l'hôte, pour un repas d'adieu, du directeur des CFF Benedikt Weibel lui-même, qu'il a rencontré régulièrement en tête-à-tête.
Hans Bosshard n'est pas seulement connu comme le loup blanc du service de presse des CFF, mais aussi de la plupart des cadres. Ses attaques répétées contre une certaine autosatisfaction de l'ex-régie ne lui ont pas fait que des amis. «Mais si une entreprise comme les CFF ne pouvait pas supporter les critiques le plus souvent fondées d'un journaliste spécialisé comme Hans Bosshard, alors ce serait grave», déclare le responsable de la communication, Dani Härry.
Le journaliste se targue d'avoir à plusieurs reprises influencé les décisions de l'entreprise. «C'est un peu grâce à moi qu'il y a des voitures à deux niveaux pour le S-Bahn zurichois. Certains craignaient que cela ne prenne trop de temps aux passagers de monter et descendre. J'ai écrit plusieurs articles sur les trains de banlieue à deux étages qui circulaient déjà à Paris. Une délégation de la direction est allée voir à la gare de l'Est et a constaté qu'il ne fallait pas plus de 64 secondes pour qu'une voiture bondée se vide. Ou en 1975, lorsque les CFF ont mis en service leurs nouvelles rames intervilles orange en les présentant comme le sommet du confort. Ce n'était simplement pas vrai. Je l'ai écrit et ai passé pour un traître. Mais après la 72e rame, la production a été interrompue. Je ne me fais pas un plaisir de critiquer, mais pour proposer quelque chose de neuf, il faut dire ce qui ne va pas.»
Hans Bosshard est avec le temps devenu l'«ombudsman» inofficiel des CFF. Il reçoit une quinzaine de lettres, téléphones ou mails par semaine, qui quasiment tous le soutiennent dans ses efforts pour améliorer la qualité des services des trains suisses ou lui font part de leurs expériences. Et parmi eux aussi des employés de l'entreprise. Car si ce sympathisant du Parti radical déclare ne pas avoir la fibre syndicale, il ne s'engage pas moins dans ses articles «pour les revendications justifiées des employés», et combat régulièrement les réductions de personnel, notamment dans le domaine de l'entretien ou la suppression du personnel d'accompagnement dans les trains régionaux.
La dernière grande bataille engagée par Hans Bosshard est dirigée contre la séparation des domaines marchandises et passagers. Avec un zèle presque missionnaire, faisant même régulièrement référence à la réunification de l'Allemagne, il ne manque pas une occasion d'écrire tout le mal qu'il pense de cette nouvelle structure. «Une idée de Lalive», dit-il laconiqument pour se distancer de la stratégie d'entreprise du président du conseil d'administration, Thierry Lalive d'Epinay.
Le virus du rail a été transmis à Hans Bosshard par son grand-père paternel, un mécanicien à la retraite basé à Erstfeld (UR). «Je connaissais par cœur toutes les gares jusqu'à Bellinzone avant d'avoir besoin d'un billet», raconte encore avec fierté le petit-fils. Lui aussi aurait voulu conduire des locomotives. Mais, en raison d'une vue défaillante, il a d'abord fait un apprentissage d'agent CFF, avant de se tourner vers sa deuxième passion, le journalisme. Finalement, il a fait converger ses deux aspirations pour suivre avec une attention indéfectible les développements du rail en Suisse. Et en Europe.
«En moyenne, nos trains sont les meilleurs d'Europe, mais la moyenne, cela ne suffit pas toujours. Presque toutes les décisions se prennent trop tard. Et on n'ose pas faire des choix. C'est le style du pays. Chaque région reçoit un petit bout. A la fin, cela débouche rarement sur des idées vraiment novatrices.»
L'évocation de la SNCF et de ses TGV allume des petites étoiles dans les yeux de Hans Bosshard: «Un coup de génie, le plus grand succès commercial dans l'Europe de l'après-guerre.» Succès obtenu au détriment d'un réseau régional sacrifié? Hans Bosshard bondit: «Ce n'est pas vrai. La France après la guerre a dû faire face à la destruction massive de son infrastructure. Avec des moyens restreints, elle a d'abord reconstruit des ponts pendant des années. Elle a fait ce qu'elle a pu. Et les lignes régionales ont dû attendre. Mais elles se sont améliorées.» Il doit le savoir, lui qui, sans voiture, est allé amoureusement photographier les dernières locomotives à vapeur de France pour son livre sur le sujet paru en 1976.