Le conflit jurassien a marqué les esprits dans toute la Suisse, principalement entre le début des années 60 et la moitié des années 90, époque à laquelle l’Assemblée interjurassienne (AIJ) a été instituée. Le débat a été entaché de débordements: actions terroristes du Front de libération du Jura (FLJ), tensions au sein de la population, injures et intimidations lors des trois plébiscites en 1974 et 1975.

L’affaire dite des «caisses noires» a aussi marqué cette période. Le gouvernement bernois a reconnu en 1984 avoir versé de manière illégale plusieurs centaines de milliers de francs aux mouvements antiséparatistes. Ces irrégularités ont entraîné l’annulation du scrutin de 1983 lorsque les citoyens du Laufonnais avaient rejeté le rattachement de leur district bernois au canton de Bâle-Campagne, auquel ils se sont rattachés lors d’une nouvelle consultation en 1989.

Un fossé

Pour les milieux pro-bernois, la Question jurassienne a été réglée avec le plébiscite de 1975. Les districts de Moutier, de Courtelary et de La Neuveville choisissaient de rester dans le canton de Berne et donc de ne pas rejoindre ceux de Porrentruy, de Delémont et des Franches-Montagnes au sein d’un canton.

Mais cette vision n’est pas partagée par les autorités jurassiennes et les milieux autonomistes. Malgré l’entrée en souveraineté de l’Etat jurassien en 1979, ils estiment que la partition du Jura historique à l’issue des plébiscites n’est pas une solution satisfaisante. Pour eux, l’avenir institutionnel de la région ne peut être envisagé que sous la forme d’un canton formé du Jura et du Jura bernois.

C’est pour surmonter ce fossé, que la Confédération et les cantons de Berne et du Jura ont mis en place en 1994 l’AIJ. Le travail de cette institution a permis de restaurer le dialogue entre frères ennemis d’autrefois. Mais pour clore définitivement ce chapitre de l’histoire, l’AIJ estime qu’il faut donner une nouvelle fois la parole à la population. Une proposition partagée par la Confédération et les deux cantons.

Frontières cantonales

Le dossier jurassien revêt un caractère incongru pour la Suisse: seul ce conflit a fait bouger les frontières cantonales ces dernières décennies et, le 24 novembre, c’est un nouveau scénario inédit qui se présentera. Le Jura bernois pourra à nouveau opérer un choix territorial en choisissant de rester au sein du canton de Berne ou s’engager dans un processus menant à une nouvelle entité et le Jura dira s’il peut envisager de renaître sous un autre visage.

Cet automne, la population ne se prononcera donc pas pour ou contre un nouveau canton. Elle dira si elle veut d’une assemblée constituante interjurassienne chargée d’imaginer les contours de cette entité. Ce n’est qu’au moment de sanctionner cette constitution que Jura bernois et Jura choisiront leur destin.

Désintérêt de la population

A moins de trois mois du vote, le débat se cantonne aux milieux politiques et aux comités de campagne qui échangent leurs arguments par courriers des lecteurs, courriels, communiqués et interventions parlementaires interposés. La population, qu’elle soit jurassienne ou jurassienne bernoise, affiche elle encore son indifférence.

Si la campagne n’a pour le moment pas été émaillée de dérapages, le ton et la rhétorique des mouvements de lutte se sont sensiblement durcis ces dernières semaines. Une minorité de Jurassiens bernois, en particulier ceux qui ont vécu les plébiscites des années 70, craint un regain de tension.

Les gouvernements bernois et jurassien font preuve de retenue pour ne pas prêter le flanc à la critique. Les autorités jurassiennes insistent sur le poids politique et économique que pourrait obtenir le Jura bernois en quittant Berne. Pour les autorités bernoises, un oui déboucherait sur une phase d’incertitude et fragiliserait les institutions.

Campagne dans le Jura bernois

Personne ne doute de la victoire du oui dans le canton du Jura même si son ampleur pourrait se révéler moins importante qu’attendu au vu des déclarations en faveur de l’unité du Jura. L’issue du scrutin se jouera donc dans le Jura bernois. Un sondage réalisé en juin montre que 49% des citoyens de la région sont opposés au lancement d’un processus susceptible d’aboutir à la création d’un nouveau canton contre 24% d’avis favorables et 19% d’indécis.

Le 24 novembre, le non d’une seule région suffit pour enterrer le projet. Si la majorité de la population du Jura bernois refusait de poursuivre le processus, les communes auraient alors la possibilité de rejoindre seules le Jura dans un délai de deux ans en recourant au vote communaliste.

«Oui pour voir»

Les partisans d’un nouveau canton tentent de convaincre les indécis que cette votation n’a rien de définitif et appellent la population à voter «oui pour voir». Ils estiment qu’un oui offrirait l’opportunité d’engager un débat d’idées et n’aurait rien d’irréversible.

Une interprétation que les autorités bernoises ne partagent pas. Elles affirment qu’un oui du Jura bernois le 24 novembre serait un très mauvais signal du point de vue de la cohésion cantonale.