Le trublion réduit au silence
L'électorat en a profité pour réduire au silence celui qui aura marqué de son empreinte la politique jurassienne depuis près de trente ans, un certain Pierre Kohler, PDC à nul autre pareil, que personne n'avait jusqu'ici dompté.
Il s'est pourtant fourvoyé en s'attaquant à une femme sortante, Anne Seydoux, qu'il a cru peu populaire, fragilisée et peu à l'aise avec son parti et le gouvernement. L'analyse de base était peut-être correcte, mais Pierre Kohler n'a pas senti que les Jurassiens n'étaient plus disposés à le suivre aveuglément. Il est allé trop loin. Davantage qu'un triomphe à Anne Seydoux, les Jurassiens ont éliminé le trublion, cette fois trop arrogant.
Autre vote conservateur: celui pour le gouvernement. Chahuté en 2010, le leader du Conseil d'Etat, le PDC Charles Juillard, qu'on raille volontiers pour son austérité comme grand argentier, obtient un excellent score. Il n'est certes pas réélu au premier tour, mais est confirmé à son rang de timonier du gouvernement.
PDC gagnant et perdant
Jusque-là, tout se tient. Or, ce même électorat, qui place trois PDC parmi les cinq premiers de la course au gouvernement, affaiblit considérablement le même PDC au parlement, qui voit son groupe parlementaire fondre de 19 à 17 élus.
L'électorat jurassien qui semblait jusque-là très «sage», s'encanaille encore en s'inscrivant dans la mouvance nationale, droitière et en faveur de l'UDC.
Le Jura s'est enorgueilli d'être une terre de résistance à l'UDC, blochérienne à tout le moins. En 2005, alors conseiller fédéral, Christoph Blocher invité au Marché-Concours de Saignelégier, avait été conspué et un brouhaha avait couvert son discours.
L'«anomalie» Baettig
Jusque dans les années 2000, l'UDC qui symbolisait l'allégeance à la Berne cantonale dont le Jura s'est débarrassé en créant un canton en 1979, n'avait qu'une audience confidentielle, limitée à quelques agriculteurs de la région de Delémont. Puis en 2003, le parti a franchi la barre des 8%. En 2007, profitant d'un apparentement avec le PLR, l'UDC chipe son siège au PDC au Conseil national, avec Dominique Baettig.
Le Jura a réparé cette «anomalie» – selon l'appréciation de la classe politique – en 2011 en renvoyant le psychiatre Baettig à son cabinet. Ce que le Jura n'a pas vu, c'est que l'UDC avait fait son nid dans un canton qui n'a pas de problème particulier avec la migration, plutôt ouvert sur l'Europe, mais qui peste face au défilé des frontaliers matin et soir. Un canton où la contestation n'a pas de caisse de résonance, dès lors récupérée par l'UDC.
Comme dans bien d'autres domaines, le Jura, jadis rebelle et progressif, s'helvétise toujours un peu plus. L'UDC pèse entre 13 et 15%, fait désormais partie du paysage politique et sera une composante importante du futur parlement. Que plus personne ne pourra snober ou railler.
Thomas Stettler futur ministre?
Il se dit que si L'UDC avait présenté au gouvernement l'agriculteur Thomas Stettler plutôt que le scientifique Damien Lachat, pourtant crédité d'un bon 10e rang avec 15,8% des voix, elle serait en mesure de briguer très sérieusement l'un des cinq fauteuils du gouvernement, lors du second tour le 8 novembre.
L'UDC sera certainement dans la course, sans véritable chance d'aboutir. Cette fois au moins. Peut-être sera-t-elle autrement plus ambitieuse en 2020, si elle sait profiler d'ici là un bon candidat.
En attendant, les regards gouvernementaux sont tournés vers le PDC, dont trois candidats ont terminé dans le quintet de tête ce dimanche. Le parti qui régresse au parlement les lancera-t-il au second tour? Avec un double risque: celui d'être majoritaire au gouvernement avec seulement 28% des sièges parlementaires, et le risque opposé de ne plus avoir qu'un ministre, en raison d'une lutte interne trop féroce susceptible d'éliminer deux colistiers. La sagesse commanderait de ne laisser que deux candidats, Charles Juillard et Martial Courtet, et de sacrifier Gabriel Willemin, malheureux cinquième à seulement 326 voix. Le PDC tranchera mardi soir.
Même s'il a obtenu un bon score, le chrétien-social David Eray ne devrait pas parvenir à forcer la porte du gouvernement, faute d'alliance de son parti, le PCSI, avec la droite ou la gauche. Au final, il est probable que le gouvernement jurassien 2016-2020 ait la même composition politique que le précédent : 2 PDC, 2 PS (Michel Thentz sauverait ainsi sa peau, accompagné d'une étoile montante, Nathalie Barthoulot) et 1 PLR (Jacques Gerber, bon 3e du premier tour). Encore une option conservatrice, qui contraste avec l'émergence de l'UDC.