Le milieu du siècle dernier vivait la ruée vers l'or américain de même qu'une pénible période de chômage en Suisse. Comme une bonne partie de la région francophone du Jura, le village de Develier, à deux pas de Delémont, se débarrassait alors de ses pauvres en les envoyant outre-Atlantique, un billet simple course en main. En 1851, la commune a ainsi «aidé» une dizaine de familles à partir aux Etats-Unis, s'acquittant de leurs frais de voyage. En échange, elle gardait leurs biens et leurs terres. Aujourd'hui, à l'heure où la localité de quelque 1300 âmes tourne ses yeux, comme beaucoup d'autres dans le canton, sur le développement que pourrait apporter la Transjurane, des anciens du village cherchent à retrouver la trace des descendants de ces émigrants du XIXe siècle. En guise de première étape, Develier accueille aujourd'hui même une première réunion d'anciens: une idée qui, comble de l'ironie, vient des Etats-Unis, amenée par un certain Louis Greppin. Un migrant.
Petit bonhomme énergique de 84 ans, cet ancien habitant de Develier vit six mois par année dans l'Etat du Montana et le reste du temps à Genève. Avec son épouse, il réalise cette transhumance depuis onze ans, pour retrouver une partie de la famille de sa femme dans une localité du pied des Rocheuses qui répond – autre coïncidence? – au nom d'Emigrant. Aucun lien cependant avec les émigrés jurassiens. Véritable mordu d'histoire, cet ex-ingénieur collecte par classeurs entiers des informations sur sa famille et son village d'origine. Des histoires, il en connaît sur Develier, dont l'existence n'a pas manqué d'événements rocambolesques. Intarissable, il raconte l'incendie de 1850 qui a ravagé une dizaine de maisons. Il a lui-même plus tard habité à ce qui s'appelle, depuis, la rue Brûlée. Louis Greppin s'insurge encore aujourd'hui contre la décision de Berne, en 1899, de mettre son village sous tutelle «pour lui voler l'eau de ses sources». Puis il se fait malicieux pour conter la mystérieuse disparition d'un menuisier du village dans les années 30.
Les exilés de 1851
Il y a une année, pendant son séjour aux Etats-Unis, il a été approché par un autre Greppin, résident américain qui cherchait des informations sur son nom et sa famille. Les premières recherches de Louis Greppin révélèrent que son homonyme, lui, descendait des émigrants de 1851. Cette rencontre a déclenché chez Louis Greppin l'idée d'organiser des réunions «d'Anciens Develier». Pour la première, ils sont une trentaine aujourd'hui à redécouvrir leur village. Ils viennent de toute la Suisse, dont un tiers du village jurassien lui-même.
L'aventure ne s'arrête toutefois pas là. Avec son ami Marc Monnin qui habite toujours Develier, Louis Greppin entend élargir le groupe des anciens en relançant les recherches pour retrouver les descendants de ces fameux émigrés. «Nous avons retrouvé le dossier des 54 personnes qui avaient fait le voyage outre-Atlantique. Nous avons le pedigree des familles et même le nom du bateau sur lequel elles ont embarqué», se réjouit Marc Monnin. Des Greppin figurent sur la liste des passagers. Louis pourrait se découvrir une raison de plus de migrer aux Etats-Unis…