Chaque mardi de l’été, «Le Temps» se promène dans un de ces lieux, en Suisse, qui évoquent d’autres paysages, géographiques et/ou temporels.

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«Animaux dangereux: ne pas franchir la clôture électrique». Au-dessus des Prés-d’Orvin dans le Jura bernois, la pancarte inquiète un peu les randonneurs. Mais il n’y a pas vraiment de quoi. A une cinquantaine de mètres de là, un troupeau de bisons paît tranquillement dans la canicule de juillet. Leur propriétaire, Christian Lecomte, les appelle pour leur donner une récompense. «Go, go, go, go», crie-t-il. Au loin, le mâle dominant déplace sa carcasse d’environ une tonne à une allure de sénateur.

A Megève, en France voisine, où il a fallu les abattre, puis aux Etats-Unis où l’un d’entre eux a encorné une fillette heureusement saine et sauve, les bisons ont récemment semé la panique. Mais à l’ombre du plus haut sommet jurassien, le Chasseral, le Bison Ranch est bien sécurisé. Et lorsqu’une fois le troupeau s’est échappé voici une dizaine d’années au-dessus du village de Diesse, Christian Lecomte est parvenu à maîtriser la situation. «Tout est affaire de communication. Nous nous causons», dit-il en restant énigmatique pour le commun des mortels. Il a noué avec ses bêtes une «relation de complicité et de respect». Concrètement, lorsqu’il pénètre dans leur enclos, il ne les approche pas à moins de 30 mètres sur leurs pâturages.

Un agriculteur «heureux»

Depuis 1992, Christian Lecomte a planté un décor de western sur son domaine de 80 hectares. Cet agriculteur qui ne fait rien comme les autres fait partie des éleveurs de bisons pionniers en Suisse. Dans un premier temps, il fait venir cinq femelles du Dakota du Sud par l’intermédiaire de Laurent Girardet à Colovrex (GE). Puis il a lentement développé des activités d’agrotourisme. Il a dressé cinq tentes tipis, puis construit six cabanes – «avec quelques planches et quelques clous» – qui portent le nom d’Etats américains.

Il le reconnaît. C’est aussi l’évolution de la politique agricole qui l’a poussé à se lancer dans cette aventure. Au début des années 1990, le prix du litre de lait, qui a culminé à 1 franc et 7 centimes, chute d’un coup de dix centimes. «J’aurais perdu 1000 francs de revenu par mois», raconte le paysan du plateau de Diesse.

Adieu les vaches, bonjour les bisons, ce bovin idolâtré par les Américains! Car Christian Lecomte veut rester fidèle à sa devise de toujours. «Le paysan est et doit rester un entrepreneur», assène-t-il. Un quart de siècle plus tard, il ne regrette rien: «Je ne me plains pas, je suis un agriculteur heureux.»

«La simplicité et l’efficacité sont la recette de notre succès», explique-t-il. Il faut dire qu’il est probablement le plus médiatisé de tous les paysans de l’Arc jurassien. Voici cinq ans, deux réalisateurs bernois consacrent un long documentaire à quatre agriculteurs qui certes sont restés dans le métier, mais en rompant avec les activités de leurs parents. Plus tard, c’est France 5 qui s’arrête aux Colisses du Bas dans le cadre d’un reportage sur la région touristique des Trois-Lacs. A l’ombre du Chasseral, l’endroit vaut bien une «échappée belle». Et en octobre dernier, c’est définitivement la gloire: TF1 débarque aux Prés-d’Orvin. Une équipe de la production de l’animateur Christophe Dechavanne fait découvrir ce gîte insolite au public français. Le concept de l’émission: les quatre concurrents de l’émission s’évaluent tour à tour.

En vedette sur TF1

Le gîte suisse, probablement choisi en raison des fenêtres publicitaires que TF1 diffuse sur les petits écrans romands, ne finira qu’en deuxième position. Le mobilier de ces cabanes est rustique et leur confort rudimentaire. Il y a là un lit double pour les parents, deux couches superposées pour les enfants et une table avec quelques jeux de société. Pas de télévision ou de jeux vidéo, pas de douche ni de toilette. «Ici, on fait la toilette du chat», sourit Christian Lecomte. Pour se soulager, des toilettes sèches sont à l’extérieur, à une cinquantaine de mètres. Fatal au gîte suisse sur TF1: il y a eu trop de mouches dans les cabanes, ce qui a dérangé certains hôtes!

Au fil des ans, l’ancienne surface d’estivage pour les vaches s’est transformée en un domaine de 80 hectares ouvert toute l’année. Il faut dire que l’endroit est bien situé. En hiver, il est un paradis pour les skieurs de fond, qui y trouvent un réseau de 50 km de pistes, ainsi que pour des randonneurs en raquettes. En été, le chemin des crêtes du Jura, qui va de Dielsdorf (ZH) à Nyon, passe juste à côté.

A la mi-juin, Christian Lecomte fête la Saint-Bison. Dans une ambiance de musique country d’artistes romands comme Paul Mac Bonvin ou Christophe Meyer, plusieurs centaines de personnes viennent manger les produits de la région, à commencer bien sûr par la saucisse, l’entrecôte ou le filet de bison. Une viande savoureuse et tendre. Mais à partir de la fin du printemps, elle ne vient plus des Prés-d’Orvin. Elle est importée du Canada ou des Etats-Unis, ce que Christian Lecomte ne cache pas aux clients.

Le retour à la nature

Il a eu raison d’innover. Son exploitation, qui tourne grâce à quatre personnes salariées, réalise un chiffre d’affaires d’environ 250 000 francs par an, paiements directs compris. Elle enregistre entre 2000 et 3000 nuitées par an. Même si l’agriculteur est très médiatisé, la meilleure publicité est celle qui se fait de bouche à oreille. Si un jour des employés de Google ont fait leur sortie de boîte au Bison Ranch, c’est parce que la femme d’un des directeurs, une enseignante, y avait emmené auparavant sa classe en course d’école.

Depuis toujours, le Bison Ranch a tablé sur le retour à la nature et sur les produits locaux. Son succès n’a donc rien d’étonnant. «Son offre est très tendance, en totale adéquation avec ce que recherchent les gens aujourd’hui», note Guillaume Davot, le directeur de Jura bernois Tourisme. Cela dit, Christian Lecomte a beau affectionner les grands espaces des plaines américaines et s’être rendu plusieurs fois aux Etats-Unis, il ne quitterait pas ses racines du plateau de Diesse. «Les pierres sont dures partout.»