Le train démarre à 7h42. L’ambiance est bon enfant dans le groupe qui compte désormais une quarantaine de personnes: des socialistes, des chrétiens-sociaux indépendants (PCSI), des PDC, de simples curieux. A Moutier, future ville jurassienne, les rangs se garnissent. Rebelote à Bienne, où patiente un groupe venu des Franches-Montagnes. La terre d’Elisabeth Baume-Schneider.
Le convoi reprend sa course vers la capitale fédérale. «C’est la première fois que je vais manifester à Berne avec un drapeau jurassien sans avoir peur de me faire casser la gueule», lance un militant hilare. De l’étage supérieur de la rame s’échappent les effluves fruités de la damassine, «un baume pour le cœur!». «A 8h20, c’est encore un peu tôt», s’amusent ceux qui à l’eau-de-vie préfèrent café et croissant.
Une famille jurassienne unie
Arrivée en gare de Berne. Le cortège suscite la curiosité sur son passage. «Allez le Jura!» lance un passant. L’atmosphère devient fébrile lorsque apparaît la Coupole. «On arrive juste à temps», s’exclame une militante qui vient d’apprendre l’élection de l’UDC bernois Albert Rösti au premier tour.
Sur la place Fédérale, un petit groupe attend déjà et se met à distribuer des drapeaux à ceux qui n’en ont pas. «Cela fait plaisir de voir cette famille jurassienne unie au-delà des partis», confie Nicolas Girard, député socialiste du Noirmont visiblement ému. «Pour notre canton, notre district et notre section, c’est vraiment une journée très importante.»
Le vote approche. Le secrétaire général du Mouvement autonomiste jurassien, Pierre-André Comte, évolue au milieu de la foule qui rassemble désormais environ 200 personnes: «Le peuple jurassien a un rôle à jouer dans la Confédération. Depuis sa création, notre canton a montré qu’il est viable et a des choses à dire. Brandir le drapeau, c’est une manière d’exprimer que notre peuple existe et est dans le coup.»
Quarante minutes sous haute tension
A 9h40, un silence de plomb s’abat sur la place. Des petits groupes se forment autour de téléphones portables. «La cloche a sonné!» crie quelqu’un. Tout le monde se fige, de longues secondes passent. Puis retentissent des cris de joie. Elisabeth Baume-Schneider fait la course en tête. Même pour ses plus fervents défenseurs, c’est une petite surprise. Le scénario se répète vingt minutes plus tard. «Elle est toujours devant!» s’exclame Mathieu Houmard. La victoire semble désormais à portée de main.
Un frisson d’excitation secoue soudain la foule et tous les regards se tournent vers le Palais. Derrière les fenêtres du deuxième étage, le gouvernement jurassien est venu saluer ses troupes. Une militante se lance dans un pronostic final: «Elisabeth n’a jamais perdu une élection, et c’est bien parti pour ne pas changer!» La confirmation tombe vers 10h20. La Jurassienne décroche de justesse la majorité absolue et l’emporte par 123 voix. Liesse générale devant le Palais.
«C’est un moment historique pour le Jura», «On ne réalise pas encore!», «Enorme!»: les réactions fusent, tandis que recommencent à tourner des verres de damassine. Les mains se joignent, une mélodie s’élève. Celle de la Rauracienne, l’hymne cantonal que les Jurassiens aiment entonner dans les moments forts, tant politiques que sportifs, et qui symbolise leur union. «Aucun autre candidat n’est parvenu à réunir son canton sur la place Fédérale comme l’a fait Elisabeth Baume-Schneider. Cela montre sa capacité à fédérer!» s’enthousiasme Mathieu Houmard.
De temps à autre, un parlementaire jurassien vient saluer la foule. Le conseiller national socialiste Pierre-Alain Fridez laisse éclater sa joie: «Cette journée marque la reconnaissance de l’entrée de plein droit du Jura dans la Confédération.» Son collègue PDC des Etats, Charles Juillard évoque un moment aussi riche en émotion que symbolique: «Voir une Jurassienne et un Bernois élus le même jour au Conseil fédéral, c’est aussi un signe que maintenant que la Question jurassienne est terminée, nous pouvons travailler ensemble.»
Un esprit combatif utile pour la Suisse
Les Jurassiens attendent de leur première conseillère fédérale qu’elle représente fièrement leur canton, même s’ils sont conscients que ses préoccupations seront avant tout fédérales et qu’elle ne va pas régler tous les problèmes du Jura, notamment financiers. «Elisabeth Baume-Schneider devra être à la hauteur de l’histoire qu’elle a contribué à écrire aujourd’hui, et nous continuerons à la soutenir», assure le député PCSI Quentin Haas.
Le centriste Gabriel Willemin, ancien président du parlement jurassien, est quant à lui persuadé que cette élection permettra de changer le regard que les Suisses portent sur le Jura. «Nous avons dû beaucoup nous battre pour créer notre canton, mais aussi pour arriver jusqu’à cette élection, poursuit-il. L’esprit combatif jurassien peut assurément être utile à la Confédération, notamment dans les négociations qu’elle mène avec des partenaires internationaux.»
Venue saluer les militants Jurassiens, la nouvelle conseillère fédérale socialiste Elisabeth Baume-Schneider a entonné à son tour la Rauracienne @LeTemps pic.twitter.com/SY2sT8oP02
— Alexandre Steiner (@Alexanstein) 7 décembre 2022
Peu avant 12h30, un dernier moment d’euphorie. Venue à la rencontre des siens, Elisabeth Baume-Schneider s’est immédiatement emparée d’un drapeau Jurassien qu’elle a brandi fièrement au-dessus de sa tête, avant d’entonner une nouvelle Rauracienne. Si elle peut d’ores et déjà compter sur tout un peuple acquis à sa cause, Elisabeth Baume-Schneider devra convaincre ceux qui ont vécu une journée d’incompréhension et de déception plutôt que de liesse. Et ils sont encore nombreux.