Nous étions venus à Vendlincourt (JU) surtout pour visiter la scierie du groupe Corbat. C’est elle qui façonnera une trentaine de poutres en chêne pour reconstruire «la forêt», la charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris. L’entreprise a également fait parler d’elle récemment avec un procédé pionnier en Suisse, baptisé H2Bois, qui permettra de produire de l’hydrogène à partir notamment de vieilles traverses de chemins de fer.

Mais Gauthier Corbat, son directeur adjoint, veut d’abord nous montrer le quai de la gare… Réaménagé et modernisé, il est le symbole, selon l’entrepreneur, du potentiel de cette ligne Porrentruy-Bonfol, un temps menacée, et à travers elle de toute sa région.

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Le tour du village se poursuit. Grand, élancé, Gauthier Corbat marche vite. Il tient encore à faire visiter l’ancienne usine de pierres fines. L’Ajoulot est à l’origine d’un projet de réhabilitation de ce bâtiment désaffecté, datant de 1907, pour le transformer en centre culturel et espace de rencontres.

Le projet s’appelle KULT/. Il est ambitieux. «Je sais qu’on n’est pas à Zurich, on est à Vendlincourt, mais ce n’est pas une raison pour ne pas faire des choses de qualité», appuie le jeune homme de 36 ans. Il s’attarde sur les belles finitions de l’édifice, sur les trompe-l’œil de la façade, héritages d’une époque où l’horlogerie irriguait même les petits villages de l’Arc jurassien.

Apollinaire et l’UE

Ses explications rappellent que le patron de scierie a commencé par étudier l’histoire de l’art à l’Université de Lausanne. «Lire, ça me traversait, se souvient Gauthier Corbat. Analyser un poème d’Apollinaire suffisait à mon bonheur.» Avant de rejoindre l’entreprise familiale, fondée par son arrière-grand-père au sortir du premier conflit mondial, il a eu des envies d’ailleurs. Passionné par les mécanismes de construction de l’Europe, le Jurassien continue ses études avec un master en études européennes à l’Université de Genève. Il poursuit avec un master d’études avancées au fameux Collège d’Europe de Bruges, qui a contribué à former tant de hauts fonctionnaires de l’Union.

De retour en Suisse, en 2013, Gauthier Corbat s’installe à Berne. Il entre au service du Département des affaires étrangères (DFAE), en tant que collaborateur scientifique à la Direction des affaires européennes. Deux ans plus tard, une occasion se présente, en lien avec l’Amérique du Sud. Un mandat de deux ans, qui permettrait à ce polyglotte de préparer le concours diplomatique. Mais à la même époque, une autre idée commence à lui trotter dans la tête. «Je suis allé en discuter avec mon chef direct au DFAE, il m’a dit: la Suisse a besoin de diplomates, mais aussi de jeunes entrepreneurs. Ces mots m’ont libéré.»

Le jeune homme écrit alors, de manière très solennelle, une lettre manuscrite à son père pour lui faire part de son désir de rejoindre l’entreprise. Ce qu’il fera en 2016. Il apprend sur le tas la gestion d’une société de 80 collaborateurs, les ressources humaines, les métiers du bois. Aujourd’hui, il est un des deux Romands, avec le Fribourgeois Jacques Rime – le fils de l’ancien parlementaire Jean-François Rime – à siéger au comité de l’association faîtière de la branche. Il insiste sur le credo du groupe Corbat, leader suisse dans le traitement des feuillus, valoriser le bois à 100%: «De l’écorce à la sciure, rien n’est perdu.»

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Le retour de Gauthier Corbat dans le Jura coïncide avec le début de son engagement en politique. La même année, il devient secrétaire général du Centre (ex-PDC) jurassien. Un an plus tard, dans le sillage de l’affaire Queloz (du nom de la députée qui n’avait pas été élue à la présidence du parlement), le parti se déchire. Une crise profonde qui contribuera à la perte d’un siège au gouvernement cantonal. «La politique, c’est ce que j’ai vécu de plus violent, mais ces expériences m’ont endurci», explique celui qui a fait son entrée au parlement comme député lors des élections de 2020.

Fiers et modestes

«Les Jurassiens sont festifs. Nous sommes fiers quand il s’agit d’aller à Lausanne chanter la plus belle Rauracienne avant la finale de la Coupe suisse de hockey, mais dans beaucoup de domaines, nous sommes des terriens, modestes, laborieux, dans le bon sens.» Hyperactif, Gauthier Corbat est encore à la manœuvre pour la création d’un marché couvert à Porrentruy, un projet participatif, qui propose des produits de proximité. Ici, il donne un coup de pouce à un ami pour reprendre et moderniser la Distillerie de Porrentruy. Là, il relance le HC Vendlincourt, dissous en 1973 pour donner naissance au HC Ajoie, club fondé pour la petite histoire par Charly Corbat, son grand-oncle.

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On dit de l’Ajoie qu’elle est endormie, en comparaison avec sa voisine, la dynamique vallée de Delémont. Gauthier Corbat veut contribuer à la réveiller. «La Transjurane nous a décloisonnés, certes, mais on ne vend pas une région avec une autoroute», plaide-t-il, fourmillant d’idées. Et quand on demande à ce jeune père de famille comment il arrive à tout concilier, il pondère son implication. «Dans de nombreux projets, je suis surtout là pour initier, motiver, mettre en relation, déléguer…», explique l’entrepreneur, concluant en riant: «D’ailleurs, je suis toujours meilleur dans l’analyse d’un poème d’Apollinaire que dans le sciage d’une planche.»


Profil

1985 Naissance le 28 juillet à Porrentruy.

2012 Master en études avancées au Collège d’Europe à Bruges.

2013 Collaborateur scientifique au DFAE à Berne.

2016 Retour dans le Jura, pour rejoindre la scierie familiale de Vendlincourt. Nommé secrétaire général du Centre jurassien.

2020 Naissance de sa fille Alexine. Election au parlement jurassien.


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