Cantonales 2020
Les Franches-Montagnes pourraient ne plus être représentées au gouvernement jurassien. Ce serait une première historique dans un canton où les équilibres régionaux sont en passe d’être bouleversés avec l’éventuelle arrivée de Moutier

Au soir du second tour des élections cantonales jurassiennes, le 8 novembre prochain, l’un des trois districts, les Franches-Montagnes, berceau du combat autonomiste, pourrait ne plus être représenté au gouvernement. Ce serait une première depuis l’entrée du canton en souveraineté en 1979. En effet, fragilisé par différents dossiers sensibles comme CarPostal ou la géothermie, le Franc-Montagnard David Eray semble être le plus menacé des cinq ministres sortants. Mais le chrétien-social indépendant (PCSI) – le plus petit parti de l’exécutif – devrait néanmoins pouvoir s’appuyer sur un vote régional, qui pourrait lui permettre de sauver son siège.
«Il y a encore un fort esprit de clocher dans le Jura, confirme le PLR ajoulot Serge Vifian, ancien membre de l’Assemblée constituante jurassienne. Chacun a tendance à faire bloc derrière ses candidats. Et l’éventualité qu’il n’y ait plus aucun Taignon [surnom des Francs-Montagnards, ndlr] va certainement peser sur l’élection.» Pas si sûr pour la conseillère aux Etats et ancienne ministre Elisabeth Baume-Schneider, qui nuance le poids de l’appartenance régionale sur les élections: «La délégation jurassienne sous la Coupole fédérale est composée de trois Ajoulots et de moi-même, Franc-Montagnarde. Il n’y a aucun représentant de Delémont. Et cela n’a jamais été un thème.»
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La socialiste l’explique par «un double phénomène». Premièrement, avec la vague verte, puis la vague rose, un nouvel électorat se concentre davantage sur les causes. Et deuxièmement, les gens comptent moins sur la politique pour défendre leur coin de terre. «Par exemple, ici aux Franches-Montagnes, tout le monde s’identifie à une manifestation culturelle comme le festival du Chant du Gros au Noirmont», conclut Elisabeth Baume-Schneider.
Un canton qui s’est décloisonné
Certes la période du vote monolithique des Franches-Montagnes, qui avaient notamment réussi à faire élire en 1994, à la surprise générale, l’une des leurs, la PLR Anita Rion, est révolue. Le canton du Jura s’est décloisonné avec l’inauguration de la Transjurane. Il s’est ouvert sur l’extérieur, notamment en direction de son voisin bâlois. La pendularité a augmenté. Mais le poids de l’identité régionale demeure fort, à l’image de la partielle au gouvernement du printemps dernier où l’origine ajoulote de la socialiste Rosalie Beuret Siess et delémontaine de la PDC Anne Seydoux-Christe a été régulièrement mise en avant.
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Ces différences vont au-delà des lieux communs qui veulent que le Franc-Montagnard soit frondeur, l’Ajoulot plus conservateur et le Delémontain davantage progressiste. Pour le géographe Patrick Rérat, professeur à l’Université de Lausanne, il y a tout d'abord une question de topographie, avec des Franches-Montagnes tournées vers le canton de Neuchâtel et la fameuse barrière du col des Rangiers qui sépare l’Ajoie de la vallée de Delémont.
Aux yeux de Patrick Rérat, il est important de prendre aussi en considération les facteurs économiques: «Le Jura est un petit canton de 70 000 habitants, mais c’est un canton à deux vitesses.» «Les Franches-Montagnes connaissent une croissance démographique, bénéficiant de la proximité du bassin horloger du Locle et de La Chaux-de-Fonds, explique le géographe. Delémont prospère également. La ville est bien connectée à Bâle et à Bienne. Elle accueille le campus de la HES et bientôt le Théâtre du Jura, de nouveaux quartiers sortent de terre. Au contraire de ces deux districts, l’Ajoie demeure en retrait.» Patrick Rérat rappelle qu’en 1900 Porrentruy (7000 habitants) était plus grande que Delémont (5000 habitants). En un siècle, la cité ajoulote a stagné à 7000 âmes, alors que la capitale atteint presque aujourd’hui les 13 000 habitants.
Delémont favorisée?
Ces différences de dynamiques nourrissent des ressentiments entre les régions. «En Ajoie, certains ont l’impression qu’il y a du favoritisme envers Delémont», reconnaît Serge Vifian. Cela explique en partie, selon lui, les succès de l’UDC dans certains villages ajoulots, qui avaient longtemps parus inimaginables en territoire jurassien. Au printemps 2018, lors de la votation sur la nouvelle patinoire à Porrentruy, le projet était présenté par ses partisans comme l’étincelle qui devait permettre de sortir la région de sa stagnation.
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Reste que les équilibres régionaux jurassiens pourraient se retrouver bouleversés durant la prochaine législature, avec la venue de Moutier; les Prévôtois revoteront sur l’appartenance cantonale de leur ville le 28 mars 2021. L’éventuelle arrivée de la cité bernoise et de ses 7000 habitants n’est pas anodine, car elle ferait augmenter la population jurassienne de 10%, donnant un nouvel élan au canton.
Mais la proximité de Moutier avec Delémont suscite d’ores et déjà des inquiétudes quant à un renforcement accru du sud au détriment du nord. A la fois président du PDC jurassien et membre du Conseil municipal (exécutif) de Moutier, Pascal Eschmann en est parfaitement conscient. «Il faudra une période de transition, durant laquelle notre ville resterait indépendante de Delémont, afin que le transfert de Moutier soit pleinement accepté par l’ensemble du canton, Franches-Montagnes et Ajoie compris.»