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L’action du gouvernement jurassien plombée par le carcan Optima

Six mois après son entrée en fonction, le Conseil d’Etat qui compte quatre néophytes présente son programme de législature mardi. Portrait d’un collège de gestionnaires sans autre vision que celle de faire face courageusement aux problèmes

La photo officielle du gouvernement jurassien 2016-2020, de gauche à droite : David Eray (PCSI), Jacques Gerber (PLR), Charles Juillard (PDC), Jean-Christophe Kübler (chancelier), Martial Courtet (PDC), Nathalie Barthoulot (PS).
La photo officielle du gouvernement jurassien 2016-2020, de gauche à droite : David Eray (PCSI), Jacques Gerber (PLR), Charles Juillard (PDC), Jean-Christophe Kübler (chancelier), Martial Courtet (PDC), Nathalie Barthoulot (PS).

Alignés en rang d’oignons face à un parlement qui ne s’en laisse pas compter et sur lequel ils pourraient ne pas avoir d’emprise, faute de charisme suffisant, très BCBG et droits dans leurs bottes, la tête appuyée sur la main, les cinq ministres du nouveau gouvernement jurassien, élus à fin 2015, dégagent une impression de sérieux. Les Jurassiens ont confié les rênes de leur jeune canton à un collège multipartite (2 PDC, 1 PLR, 1 PCSI et 1 PS) qui a promis de régler les problèmes et d’appliquer le programme d’économies Optima, sans proposer de vision à un canton qui a pourtant besoin d’un second souffle.

«Pour autant qu’on puisse se forger un avis, on n’a pas été trompé sur la marchandise», ironise un député. En six mois, à l’exception de l’épopée sportive du HC Ajoie, le gouvernement s’est peu montré. Sinon pour empoigner les problèmes, ce qui sera sa marque de fabrique.

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Comptant quatre nouveaux (la socialiste Nathalie Barthoulot, le chrétien social David Eray, le PLR Jacques Gerber et le PDC Martial Courtet) pour un seul sortant (le PDC Charles Juillard), avec un chancelier (Jean-Christophe Kübler) en place depuis deux ans et demi, le Conseil d’Etat composé de quadras bien formés, plurilingues et pour cinq d’entre eux issus des cadres de l’administration, a dû se mettre au parfum et se construire une identité collégiale.

En formation continue

La mise en train a pris du temps. L’équipe de bûcheurs se dit désormais capable de prendre des décisions. Une tête dépasse, celle du leader naturel et d’expérience Charles Juillard. Président en 2016, il assure la formation continue de ses collègues, leur inculque les bonnes méthodes, leur apprend à «avancer» et, surtout, à ne pas trop rêver. Comme nombre de cantons, le Jura a des ressources limitées et des charges en hausse.

Les précédentes autorités ont voté le programme d’économies Optima, qui doit réduire de 5% (35 millions) les charges dont le canton a la maîtrise et supprimer 90 des 1800 postes publics. Le nouvel exécutif est entièrement acquis à ce postulat, au point de tout envisager par le prisme Optima.

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Le programme de législature qui sera présenté mardi est ainsi plombé par l’exigence de rationalité fonctionnelle. Pas de vision, pas de grand projet. Le développement, pour autant qu’il y en ait un, se fera avec les maigres moyens du bord.

Le Jura a pourtant des perspectives d’émancipation. Son autoroute Transjurane sera terminée en décembre 2016 et reliera le canton à la France au nord et au Plateau au sud. En septembre, Delémont inaugurera un campus de formation tertiaire, à côté de la gare, dans un espace urbain transformé qui donne un air de modernité au chef-lieu. Fait inédit en Suisse, le Jura pourrait voir son territoire s’agrandir si Moutier décide, en juin 2017, de quitter le canton de Berne. Ce serait une opportunité de repenser l’organisation institutionnelle du canton.

Dossier-clé: le théâtre

En contraint les géants de la chimie bâloise à assainir la décharge de Bonfol - les dernières tonnes de déchets seront évacuées en septembre -, le Jura a acquis de la notoriété et de la crédibilité.

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Et le canton va construire un Théâtre à Delémont. Ce sera peut-être le dossier-clé de ce nouveau Conseil d’Etat. En fin de précédente législature, gouvernement et parlement ont voté la réalisation du Théâtre du Jura, à condition de trouver un tiers du coût, 8 millions, dans les milieux privés. Le compte n’y est pas encore. Le Jura abandonnera-t-il le projet s’il manque quelques millions ? Le courage des gestionnaires du gouvernement sera alors mis à l’épreuve.

Dynamiques internes

Les dynamiques internes du collège sont déjà apparues lors de la répartition des départements. L’exécutif est conduit par le grand argentier et timonier Charles Juillard, appuyé par le fonceur Jacques Gerber, qui n’a pas craint de remplacer sans vergogne la présidente de l’Hôpital du Jura ,Pauline De Vos Bolay, par l’ancien ministre PDC Philippe Receveur, qui était son chef de département lorsqu’il était responsable de l’office de l’environnement.

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La capacité des autres ministres à s’atteler aux locomotives Juillard et Gerber reste à déterminer, pour autant qu’elles soient un objectif. Peut-être seront-ils tentés, en tant que chefs de départements et représentants de partis minoritaires, de davantage se profiler personnellement.

Parce qu’il n’étaient pas auparavant parlementaires fédéraux ou engagés dans des fonctions visibles, les ministres jurassiens doivent encore se faire un nom au-delà des frontières cantonales et constituer des réseaux, pour, comme ils le souhaitent, faire rayonner et peser leur canton. Cette tâche s’annonce ardue, faute d’envergure et de charisme naturels, de compétences particulières dans la communication et parce que l’action de gestionnaires locaux risque de peu intéresser au-delà des frontières. Mais il incombe au président Juillard d’être la voix du Jura en Suisse.

Cinq tempéraments contraints de s’entendre

© PETER SCHNEIDER
© PETER SCHNEIDER

Le boss, garant de l’austérité

Charles Juillard , PDC, 53 ans, sortant, juriste, en place depuis 2007, président et ministre des Finances

Déjà leader du précédent gouvernement, à défaut du super-département de l’économie et des finances qu’il briguait, le ministre PDC s’est construit un dicastère à sa mesure: il est celui qui voit et contrôle tout à l’intérieur et il est la voix du Jura à l’extérieur. Il préside notamment la conférence intercantonale des ministres des finances. Le rôle lui sied à merveille, sa très bonne réélection l’a décrispé. Peut-être surjoue-t-il, au risque d’abuser de sa position.

© Danièle Ludwig
© Danièle Ludwig

Le bûcheur fonceur

Jacques Gerber , PLR, 43 ans, nouveau, économiste, ancien haut fonctionnaire, ministre de l’Economie et de la santé

Il est l’antithèse de son prédécesseur PLR Michel Probst. Jacques Gerber incarne le nouveau Conseil d’Etat: bûcheur au risque de s’asphyxier - il prône la création de postes de collaborateurs personnels pour les ministres -, capable de décider vite - il a changé le président de l’Hôpital du Jura -, presque aussi souvent à Bâle qu’à Delémont, afin de concrétiser l’axe de développement. Trop gestionnaire ? C’est surtout ce dont le Jura a besoin, rétorque-t-il.

© Danièle Ludwig
© Danièle Ludwig

L’unique ministre de gauche

Nathalie Barthoulot , PS, 47 ans, économiste, ancienne haute fonctionnaire, nouvelle, ministre de l’Intérieur

Elle a un rôle difficile qui impose de grands écarts. Alter ego d’Elisabeth Baume-Schneider à qui elle a succédé, elle doit s’en émanciper. Seule femme et ministre de gauche, cheffe d’un département qui allie social et sécurité, Nathalie Barthoulot est face à une double loyauté: au collège masculin et de droite, et à son parti et ses convictions. Bosseuse, elle doit trouver un style qui respecte son goût des choses (trop) bien faites et l’envie de foncer de ses collègues.

Le courageux torturé

Martial Courtet , PDC, 39 ans, nouveau, enseignant, ancien conseiller pédagogique, ministre de la Formation, de la culture et des sports

Le conte de fées de son élection passé, Martial Courtet a vite dû sortir de l’image de «doux rêveur» qu’il a pu transmettre. Il est perçu comme le «pilote dans l’avion» du département de la formation, après avoir mis à l’écart le chef de service de l’enseignement. Il doit reconstruire son staff. Dans le sillage du duo Juillard-Gerber, Martial Courtet paraît prêt à foncer, pour autant qu'il se départisse du syndrome de Calimero et qu’il ne «psychanalyse» pas toutes ses options.

Le risque de ruer dans les brancards

David Eray , PCSI, 43 ans, nouveau, ingénieur, ancien chef de projets horlogers, ministre de l’Environnement

Il est l’invité surprise, celui que l’establishment ne voulait pas. David Eray est - c’est aussi pour cela qu’il a été élu - celui qui ne vient pas du sérail administratif. Sitôt installé, il veut montrer qui commande, ruer dans les brancards, quitte à heurter. Sa rigidité peut devenir un obstacle. Il doit assumer l’erreur de casting de la cheffe du service de l’environnement, déjà congédiée. Il découvre le job de ministre, fait montre d’abnégation, mais devra éviter d’être la cinquième roue du char.