Le 7 décembre dernier, deux socialistes jurassiennes ont vu leur destin basculer. Elisabeth Baume-Schneider, propulsée au Conseil fédéral, et Mathilde Crevoisier Crelier, sa colistière pour le Conseil des Etats en 2019. Le Jura appliquant la proportionnelle, la vient-ensuite dont l’expérience d’élue se résumait à dix ans passés au législatif de Porrentruy a hérité d’un siège à la Chambre des cantons. Peu connue du grand public – même sur ses terres –, elle a prêté serment huit jours plus tard.

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Assise devant un cappuccino dans un bistrot de la vieille ville du chef-lieu ajoulot, la traductrice de 43 ans se remémore cette journée riche en émotions: «J’étais au travail au Département fédéral de l’intérieur, à deux pas de la Coupole. Lorsque les résultats sont tombés, ça a été un choc. Je me suis précipitée sur la place Fédérale pour rejoindre les personnes venues soutenir Elisabeth Baume-Schneider.»

La décision d’une vie

Sa vie devait changer en fin d’année, mais pas de cette manière. Professionnellement, elle s’apprêtait à rejoindre les services du parlement fédéral. Politiquement, elle préparait son entrée à l’exécutif de Porrentruy où elle venait d’être élue. Décidée à s’impliquer pleinement dans son rôle de sénatrice, elle a tiré un trait sur ces opportunités: «Le plus difficile a été de renoncer au Conseil municipal. Je suis très attachée à ma ville et à ma région.»

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La décision d’une vie, dit-elle avec de grands gestes. Ce d’autant plus à quelques mois des élections fédérales. «Ma candidature en 2019 répondait à une stratégie de parti qui consistait notamment à mettre les femmes en avant. Mes chances de siéger un jour étaient infimes, mais je suis arrivée troisième et j’ai accepté le risque – ou plutôt la chance – qu’un tel scénario se produise. Il était inconcevable pour moi de refuser.»

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Elle admet qu’il serait présomptueux de ne pas ressentir une certaine pression face à cette «responsabilité incroyable». Mais elle est confiante: «De par ma profession, je connais bien les dossiers traités à Berne. Je ne suis pas là pour faire de la figuration et j’entends être candidate à ma réélection!»

Fille de maire et nièce de conseiller national socialiste, Mathilde Crevoisier Crelier grandit en écoutant «les histoires héroïques des militants jurassiens». Passionnée par les lettres classiques, elle étudie le grec ancien au Lycée de Porrentruy, puis à l’Université de Genève, mais aussi l’akkadien et le sumérien. Elle vit dix ans dans la Cité de Calvin, réalise des séjours archéologiques en Syrie, avant de s’établir à Porrentruy en 2008. «J’adorais les langues anciennes, mais ça ne nourrit pas sa femme.» Elle obtient un deuxième master en traduction et un premier emploi dans le Jura. Mais déjà attirée par la politique fédérale, elle cherche et trouve rapidement un poste à Berne.

Son entrée en politique répond à l’appel du PS jurassien. Très engagée sur l’égalité, la formation, l’environnement, Mathilde Crevoisier Crelier ne se voit pas rejoindre un autre parti. Une fois élue à Porrentruy, elle vit pleinement les défis que pose la conciliation d’une vie familiale, professionnelle et politique. Elle ressent également une certaine solitude en commissions: «Il y avait une ambiance de boys club, une connivence masculine pas toujours simple à percer.»

Aujourd’hui mère de quatre enfants, elle déplore que les questions portant sur l’organisation personnelle des élus ne soient généralement posées qu’aux femmes. «Les hommes doivent être intégrés au débat. On entend trop souvent que le problème de l’égalité n’existe pas ou a été résolu. C’est une manœuvre dilatoire un peu malhonnête sur un thème qui a des conséquences pour l’ensemble de notre société, par exemple sur le niveau des retraites», dit celle qui siège depuis 2018 au comité des Femmes socialistes suisses.

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Comment cette féministe convaincue entend-elle bousculer le boys club du Conseil des Etats, majoritairement masculin et conservateur? Elle rit. «J’ai été bien accueillie et l’ambiance est plus feutrée qu’au National, indépendamment des opinions politiques et des fronts très marqués.» A la multiplication des interventions parlementaires, elle entend favoriser le travail en commission, le dialogue, le compromis.

Le compromis n’est pas sa force, à entendre ceux qui l’ont côtoyée au législatif de Porrentruy. Jusqu’à récemment, elle se lançait aussi régulièrement dans des débats enflammés sur Twitter. Elle reconnaît avoir un caractère affirmé, nécessaire en politique pour encaisser les coups: «Cela étant, dans certaines circonstances, on peut se permettre d’être plus offensive. Mais au Conseil des Etats, un style bruyant serait contre-productif.»

«Jamais plié d’avance»

Mathilde Crevoisier Crelier n’a que quelques mois pour faire ses preuves et augmenter sa notoriété avant que son siège ne soit remis en jeu. Son accession au Conseil des Etats, alors qu’elle a échoué à deux reprises à entrer au parlement jurassien, a pu susciter quelques jalousies au sein du PS cantonal, qui doit urgemment définir sa stratégie.

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«Ce qui compte, c’est de proposer une liste cohérente qui réponde aux attentes de la population. J’ai envie d’une personnalité forte à mes côtés.» Ne craint-elle pas de se faire rafler son siège si tel est le cas? «Mon parti me soutient et je lui fais confiance. J’ai aussi reçu beaucoup d’encouragements parmi la population. Une élection, ce n’est jamais plié d’avance.»


Profil

1980 Naissance à Delémont.

2012 Election au législatif de Porrentruy.

2018 Accession au comité directeur des Femmes socialistes suisses.

2022 Election à l’exécutif de Porrentruy.

2022 Entrée d’Elisabeth Baume-Schneider au Conseil fédéral, ce qui lui ouvre la porte du Conseil des Etats.


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