Rosalie Beuret Siess, le visage ministériel du nouveau Jura
Portrait
Bousculant les équilibres historiques, l’élection au gouvernement de la socialiste est la sensation politique romande de ce début de 2020. Une victoire que l’Ajoulote doit en partie à ses engagements pour l’égalité et l’environnement

Le Jura change. Il ne se résume plus à la Saint-Martin, au Marché-Concours et à la vibrante Rauracienne chantée à pleins poumons par un peuple frondeur au cœur chauffé par la damassine. L’image d’Epinal est depuis longtemps éculée, et le petit dernier des cantons suisses est aujourd’hui pleinement concerné par les grandes préoccupations de la société, comme les changements climatiques ou l’égalité hommes-femmes. Une transformation incarnée aujourd’hui par un visage, celui de Rosalie Beuret Siess.
Deux femmes au gouvernement
Le dimanche 1er mars, contre toute attente, la socialiste de 41 ans a facilement emporté le second tour de l’élection partielle au gouvernement jurassien, provoquant la sensation politique de ce début d’année en Suisse romande. Une victoire surprise considérée comme doublement symbolique. Elle permet pour la première fois à l’exécutif cantonal de compter deux femmes. Surtout, le scrutin met un terme à l’hégémonie historique du PDC, qui ne comptera plus qu’un seul ministre dans le canton qu’il a contribué à façonner. Un séisme à l’échelle jurassienne.
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«Nous venons de célébrer les 40 ans de la création du Jura, peut-être que ce canton, longtemps porté par la question de la souveraineté, a besoin d’un nouvel élan», s’interroge Rosalie Beuret Siess, encore sur son nuage, attablée dans un établissement du cœur historique de sa ville de Porrentruy, où chacun prend le temps de venir la féliciter. Pour ce portrait, l’Ajoulote a donné rendez-vous à l’Atelier 4, une symbiose entre un café et un magasin de cycles, où le patron est tout à la fois barista et passionné de vélos néo-rétro.
Le lieu a l’avantage d’être attenant à l’hôtel de ville, où la socialiste siège depuis 2018 au Conseil municipal (exécutif), chargée du Département de l’équipement (eau, énergie, routes, environnement). Le café se trouve également à un jet de pierre de l’ancien magasin de fleurs qu’a tenu son père et dont la devanture porte encore le nom de Beuret. Car c’est à Porrentruy que la nouvelle ministre est née, qu’elle a grandi, fait ses écoles, lycée compris.
C’est encore ici qu’elle est revenue avec sa famille (elle a deux filles âgées aujourd’hui de 13 et 11 ans) après des études de sciences sociales à l’Université de Lausanne, entre 1997 et 2002, et une première expérience professionnelle à Genève en tant que chargée de projets auprès d’Equiterre. L’association œuvrant pour le développement durable était alors dirigée par Natacha Litzistorf, actuelle municipale verte de Lausanne.
Entre Fourchette verte et Pedibus
Le poste à Genève est à temps partiel. Dans le même temps, Rosalie Beuret Siess est engagée en 2002 au Service du développement territorial du canton du Jura, en tant que déléguée au développement durable. «En résumé, j’étais chargée de la mise sur pied de l’Agenda 21», commente-t-elle, détaillant ses multiples tâches: introduction du label Fourchette verte, mise sur pied du Pedibus, promotion du covoiturage, organisation de «brunchs santé»…
«Avec un papa fleuriste qui nous emmenait souvent en promenade dans la nature, j’ai été sensibilisée aux questions d’environnement», poursuit la ministre. De sa maman militante socialiste, la Jurassienne retiendra l’engagement pour l’égalité et les droits des femmes. L’année dernière, elle sera ainsi l’une des premières politiciennes à s’engager publiquement pour l’organisation d’une grève des femmes le 14 juin dans son canton.
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En 2014, Rosalie Beuret Siess quitte l’administration cantonale pour devenir responsable administrative de Jurassica à Porrentruy, un centre à la fois musée consacré à la paléontologie et antenne en géosciences de l’Université de Fribourg. Parallèlement, la socialiste s’investit de plus en plus en politique. Elle siège déjà au Conseil de ville (législatif) de la cité bruntrutaine depuis 2005, une institution qu’elle a présidée en 2009. En 2006, elle est entrée au comité directeur du Parti socialiste jurassien; elle coprésida durant dix ans les Femmes socialistes jurassiennes. En 2016, elle fait son entrée au parlement jurassien.
«Prendre ses responsabilités»
Tout va se précipiter à l’automne 2019. Elu à Berne, le ministre Charles Juillard donne sa démission, la Constitution jurassienne interdisant le double mandat. Le départ de l’homme fort du canton provoque une élection partielle au gouvernement. A ce moment-là, ils sont encore peu nombreux à penser que le PDC peut perdre son deuxième siège. D’autant plus que les démocrates-chrétiens lancent dans la course l’expérimentée Anne Seydoux-Christe, trois mandats de conseillère aux Etats à Berne au compteur. «Il a fallu se décider vite, les discussions ont été aussi intenses que rapides, se souvient Rosalie Beuret Siess. Mais l’excellent score de la gauche aux élections fédérales nous a convaincus de prendre nos responsabilités.»
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Portée par la vague verte et violette, la socialiste Rosalie Beuret Siess se lance dans la course. Elle va l’emporter au terme d’une campagne engagée et joyeuse, à l’image de ces jeunes qui vont débouler dans les carnavals affublés de masques avec le visage de la candidate. C’est un vent de fraîcheur dans un canton marqué par des mois de durcissement des débats politiques, à l’image des violents affrontements entre gouvernement et parlement sur les questions budgétaires.
Même sa région de l’Ajoie, rurale, conservatrice et surtout réservoir traditionnel de voix PDC, l’a placée en tête. Une reconnaissance de son engagement pour celle qui est, comme un clin d’œil du destin, la seule députée née en 1978, l’année du vote historique du 24 septembre, qui permit au Jura de devenir le 26e canton suisse.
Profil
1978 Naissance à Porrentruy.
2002 Licence en sciences sociales à l’Université de Lausanne.
2006 Naissance de la première de ses deux filles.
2016 Députée au parlement jurassien, puis conseillère municipale à Porrentruy deux ans plus tard.
2020 Ministre au gouvernement jurassien.
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