Pollution
Dans le Pays de Gex, une ancienne décharge devenue site de stockage de remblais déverse des polluants dans les cours d’eau. Une association environnementale se mobilise tandis que les autorités dédramatisent

C’est une colline de déchets en limite des communes de Cessy et de Gex, à hauteur de la carrière de Chauvilly. Jusqu’aux années 1980, les habitants y déposaient leurs ordures ménagères. «On l’appelait la décharge du Pays de Gex. Il y a des millions de m³ de matières diverses là-dessous», témoigne Christophe Bouvier, maire de Cessy. Dans les années 1990, un million de m³ de terre a été déposé pour couvrir le tout. «Mais ça n’a pas suffi pour garantir une étanchéité», affirme l’élu.
La fermeture de la décharge a soulagé les riverains mais ce fut de courte durée. Car plusieurs entreprises du bâtiment ont commencé à y stocker des déchets inertes, des gravats, du béton, des briques, des tuiles, etc. Plus ou moins légalement. Conséquence: une pollution aux lixiviats (jus de poubelle) est observée. «Tout ce poids exerce une énorme pression et dégorge toutes sortes de liquides», explique Rémi Fontaine, un géologue à la retraite membre d’Atena, une association pour la préservation de l’environnement. Il a identifié sept emplacements sur les versants est et sud du site qui rejettent des lixiviats.
Forte concentration d’ammonium
Illustration sur place dans un sous-bois, à flanc de colline, où transparaissent en surface des sacs d’immondices, tous éclatés. Une coulée puante, couleur rouille, se répand en contrebas dans le Maraîchet, un affluent de l’Oudar qui se jette dans la Versoix. Sur l’autre versant, c’est un long sillon dans un pré qui accompagne un écoulement fétide jusque dans l’Oudar.
En octobre dernier, Atena a effectué des prélèvements que le laboratoire Scitec à Lausanne a analysés. Résultat: 1300 mg par litre d’ammonium (formule NH4+). Commentaire de Marc Babut, le directeur scientifique de la Cipel (Commission internationale pour la protection des eaux du Léman): «C’est une concentration très élevée en regard de ce qui est connu depuis longtemps de la toxicité de cette substance, notamment pour les poissons et les invertébrés. Ces lixiviats devraient donc normalement être traités avant déversement afin d’abattre la concentration en ammonium.»
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La Cipel a effectué en 1993, 1994 et 1995 des mesures qui ont montré une toxicité déjà élevée mais le problème avait été jugé en voie de résolution car l’écoulement de lixiviats avait été connecté au réseau d’égout. Problème: l’association Atena a observé que la plupart des canalisations pour la collecte des lixiviats sont aujourd’hui bouchées.
Le maire de Cessy rappelle par ailleurs qu’en 2018, l’écroulement d’une digue a entraîné un déversement de boues sur la route et a modifié au passage le cours du Maraîchet. L’Oudar a été aussi touché ainsi que la faune et la flore jusqu’au Léman. Les sociétés de pêche ont porté plainte. Par ailleurs, Atena fait part de la présence de PCB (pyralène) dans les sédiments solides prélevés sur l’une des sept sorties de lixiviats, selon les conclusions du laboratoire lyonnais Eurofins Analyses.
La société Pélichet rejette les accusations
Qui incriminer? «A la fois les collectivités, les administrations et la société Pélichet, l’une des entreprises du BTP qui gère le site», répond Rémi Fontaine. «Celle-ci a été mise en demeure par un arrêté préfectoral de régulariser la situation du bassin de décantation et de sécuriser le site», poursuit-il. Joint par Le Temps, Jérôme Pélichet, qui dirige cette société, est catégorique: «Il n’y a pas de lixiviat dans la nature. Ce qui s’écoule par là contient du manganèse, un oxyde de fer qui donne cette teinte rouge et qui n’est pas un polluant.»
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Le dirigeant ajoute que sur la demande de la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), il a mandaté trois cabinets de géotechniciens qui ont effectué en mars et en avril 2020 neuf prélèvements qui n’ont pas fait état de pollution. Il précise: «Les taux sont conformes à la réglementation et les lixiviats sont collectés et dirigés, comme il se doit, vers les eaux usées et donc la station d’épuration.»
Pas de nouveaux matériaux
Benoît Huber, le sous-préfet de Nantua et Gex, confirme que les analyses ne dépassent pas les taux autorisés. Toutefois, les entreprises ont désormais l’obligation de ne pas apporter de nouveaux matériaux sur le site. «Elles doivent réaliser des travaux de sécurité et d’étanchéité et nous transmettre toutes les analyses que nous leur avons imposé de faire. Il y aura un suivi dans le temps», précise le représentant de l’Etat.
A Cessy, on se montre néanmoins dubitatif. Le Pays de Gex, territoire pour le moins dynamique du fait de sa proximité avec la Suisse, qui construit à tour de bras des logements et des hyperzones commerciales, a de pharamineux besoins en stockage de déchets de construction. La Préfecture de l’Ain n’a pas très envie de voir des camions débordant de remblais poussiéreux sillonner le département. «1,5 million de m³ ont été déversés à Chauvilly, à 10 euros le m³, cela fait 15 millions d’euros. Dans une région où le copinage est une culture politique, il n’est pas étonnant que l’on ferme les yeux sur certaines pratiques», accuse Christophe Bouvier qui ne supporte plus les quelque 300 camions qui chaque jour transitent par Cessy.
Querelle de clocher?
Son Conseil municipal a d’ailleurs voté lundi soir la fermeture du centre-ville aux poids lourds. Ils passeront dorénavant par Gex. «La carrière est située en grande partie sur cette commune», rappelle l’édile. Patrice Dunand, maire de Gex, qui en juillet dernier a délogé par voie électorale Christophe Bouvier de son poste de président de Pays de Gex agglo estime que ce dernier agit aujourd’hui par représailles.
A propos des lixiviats, Patrice Dunand indique qu’il prend en compte les seules analyses validées par la Dreal. «Celles d’Atena réalisées en Suisse n’ont pas valeur de légalité. C’est éventuellement à l’Etat d’y répondre avec ses services compétents. Mais tout ce dossier doit être revu.»