L'affaire débute en 1995. Une commission rogatoire française parvient à la justice genevoise suite à la découverte de 306 kilos de cocaïne dissimulés dans les coques d'un catamaran transporté depuis le Venezuela jusqu'au Havre. Les investigations se dirigent notamment vers «Le Gros», inscrit au fichier français du grand banditisme, condamné par contumace dans ce pays à la réclusion à perpétuité et suspecté d'être l'organisateur financier de ce trafic. Le compte ouvert au nom de son frère cadet dans une banque genevoise, est saisi avec un solde créditeur de 150 000 francs sur les 240 000 initialement déposés.
Arrêté dans l'intervalle à Nice, «Le Gros» conteste toute participation au trafic de drogue. Interrogé sur le compte, il indique l'avoir alimenté par l'encaissement de créances qu'il avait envers des tiers à l'époque où il résidait au Paraguay, puis au Venezuela. Ultérieurement, il indique que les fonds représentent le produit d'attaques à main armée qu'il a lui-même perpétrées. Sur la source de ses revenus, il précise gagner de l'argent à droite et à gauche avec pour perspective prioritaire «de se faire une banque» une fois arrivé au bout de ses économies. «Le Gros» est d'ailleurs soupçonné d'avoir participé à Genève à deux brigandages au préjudice de la Caisse d'Epargne et d'UBS. Il bénéficiera d'un non-lieu pour une de ces agressions, l'autre n'ayant jamais donné lieu à une poursuite. Egalement jugé pour importation de cocaïne en bande, association de malfaiteurs et blanchiment, il est acquitté au bénéfice du doute par la Cour d'appel de Rouen en janvier dernier.
Malgré ces décisions successives, le Parquet genevois dépose une requête en confiscation devant la Chambre pénale. Pour le procureur Schmid, «la provenance criminelle des fonds ne fait aucun doute, la logique élémentaire excluant qu'un justiciable s'accuse d'avoir dissimulé le butin d'un crime alors qu'il s'agirait d'activités légales». De son côté, Me Canonica relève que cette requête est uniquement fondée sur «un délit de sale gueule». Pour la défense, aucun élément ne démontre la commission objective d'une infraction. Dans un arrêt, communiqué aux parties le 29 août dernier, les juges rappellent qu'une mesure de confiscation suppose nécessairement la démonstration par le Ministère public du caractère délictueux de l'argent. En l'espèce, le Parquet ne dit pas de quelle attaque à main armée il s'agit. La déposition du «Gros» ne suffit pas d'autant plus que celle-ci a été recueillie alors qu'il se voyait reprocher son implication dans un trafic de drogue.
Enfin, la Chambre pénale écarte la possibilité d'appliquer ici le renversement du fardeau de la preuve que la loi autorise en matière d'organisation criminelle. L'application de cette norme nécessite soit la preuve que l'argent se trouve sous le contrôle d'une organisation mafieuse, soit la démonstration que le titulaire du compte participe à une telle organisation. Il devient dès lors inutile de démontrer que les fonds proviennent d'une infraction déterminée. Or, l'intéressé a été acquitté du chef de trafic de drogue en bande. Rien d'autre ne vient prouver que l'argent déposé à Genève dépendrait d'un groupe spécialisé dans la délinquance, conclut encore l'arrêt.