La justice suisse accuse trois financiers arabes de soutien à l'organisation terroriste Al-Qaida
SECURITE
Le Ministère public fédéral a conclu ses enquêtes sur les dirigeants de la banque tessinoise Al-Taqwa et sur le Saoudien Yassin Qadi. Ces trois hommes sont formellement accusés d'avoir financé le réseau d'Oussama ben Laden. Ils affirment être totalement innocents.
L'annonce tombe à point nommé pour les magistrats du Ministère public fédéral, principale instance judiciaire suisse chargée de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Critiqués pour leur prétendu manque d'efficacité et leur lenteur (lire ci-dessous), ils ont annoncé jeudi la conclusion de trois enquêtes visant les liens de l'organisation terroriste Al-Qaida sur le territoire helvétique. Ces dossiers devraient être transmis «dans les semaines à venir» à l'Office des juges d'instruction fédéraux, ce qui ouvre la voie à d'éventuels procès.
La première affaire avait démarré le 7 novembre 2001 par une série de perquisitions spectaculaires visant notamment les luxueuses villas, perchées dans la verdure au-dessus du lac de Lugano, de deux financiers islamistes, Youssef Nada et Ali Ghaleb Himmat, dirigeants de la banque islamique Al-Taqwa. Quelques semaines plus tard, les autorités américaines, dans une lettre adressée à la Suisse, accusaient la société tessinoise de soutien financier à Oussama ben Laden et son organisation terroriste Al-Qaida: «Les bureaux d'Al-Taqwa à Lugano […] et à Malte reçoivent de l'argent qui «coule «depuis le Koweït et les Emirats arabes unis pour Oussama ben Laden. […] En octobre 2000, la Banque Al-Taqwa semble avoir octroyé une ligne de crédit clandestine à un proche associé d'Oussama ben Laden», affirmait le document. Selon le procureur fédéral Claude Nicati, ces informations ont été en partie confirmées: l'organisation criminelle que les dirigeants d'Al-Taqwa sont accusés d'avoir soutenue «est bien Al-Qaida», a-t-il expliqué au Temps.
Youssef Nada conteste formellement ces accusations: il se définit bien comme un «islamiste», cadre du mouvement des Frères musulmans, mais affirme que ces derniers sont «pacifiques» et qu'il n'a jamais eu le moindre contact avec Oussama ben Laden et Al-Qaida. «Je suis sûr de ce que je dis, assène-t-il. Et je suis prêt à le prouver devant un tribunal.»
La seconde affaire concerne un riche homme d'affaires saoudien, le cheikh Yassin Qadi, qui a été désigné comme «terroriste global» par les Etats-Unis. Une partie de sa fortune – quelque 20 millions de dollars – a été bloquée chez Faisal Finances, une banque genevoise. Dans une lettre officielle dont Le Temps a reçu copie, les Etats-Unis accusent la fondation charitable du cheikh, Muwafaq («Secours béni»), d'avoir soutenu plusieurs groupes islamistes armés, de la Bosnie à l'Afghanistan, et d'avoir «fusionné avec Al-Qaida» en juin 2001.
Selon nos informations, les enquêteurs ont découvert que Yassin Qadi avait transféré des sommes importantes au profit de l'un des fondateurs historiques d'Al-Qaida, Wail Julaidan, et que l'une des sociétés du cheikh saoudien, Maram, avait employé un autre cadre de l'organisation terroriste, Mahmoud Mamdouh Salim. L'une des transactions financées par des fonds placés Genève a servi à construire des logements pour étudiants au Yémen, un projet auquel les deux cadres présumés d'Al-Qaida participaient. Les avocats de Yassin Qadi affirment que leur client est «entièrement innocent» et que son projet au Yémen a été officiellement approuvé par les autorités de ce pays. Mais le procureur Claude Nicati voit les choses autrement: «Ce ressortissant saoudien, a-t-il dit sans nommer explicitement Yassin Qadi, a transféré des sommes d'argent importantes à des personnes dont il ne pouvait pas ignorer qu'elles étaient liées à Al-Qaida. [Il] a sciemment transféré des fonds à Al-Qaida.» Quant à la banque Faisal Finances, elle affirme avoir parfaitement respecté ses devoirs de diligence dans ses rapports avec Yassin Qadi.
Le Ministère public fédéral a aussi conclu ses investigations sur un groupe de dix hommes qui aurait fourni de faux papiers et organisé les déplacements clandestins de réfugiés arabes et de personnes «qui pourraient avoir entretenu des contacts étroits avec Al-Qaida». Six personnes sont toujours en détention préventive: l'une d'elles, accusée de fabrication de faux documents, a été arrêtée en secret le mois dernier. Selon Claude Nicati, ce groupe «a introduit en Suisse des personnes proches de la mouvance terroriste» afin de leur procurer une «nouvelle virginité» – sous forme de fausses identités – pour leur permettre de rester en Suisse ou de se rendre dans d'autres pays d'Europe.