Suisse
Exit entame un débat sur les critères éthiques, légaux et politiques d’une libéralisation de l’aide au suicide. Entretien avec la bioéthicienne Samia Hurst

Plusieurs membres de l’organisation d’aide au suicide Exit appellent de leurs vœux un élargissement des critères pour accéder au natrium pentobarbital. Ils espèrent qu’à l’avenir, les personnes âgées ne souffrant d’aucune maladie puissent aussi bénéficier d’un accompagnement vers la mort si elles le souhaitent, sans forcément devoir obtenir une ordonnance médicale pour la substance létale. Le débat ne fait que commencer: l’organisation a mis sur pied samedi, lors de son assemblée générale, une commission dotée de 50 000 francs pour plancher sur les critères éthiques, juridiques et politiques d’une libéralisation de l’aide au suicide. Pour la bioéthicienne et médecin de l’Université de Genève Samia Hurst, la question, très controversée, touche à l’évaluation de la souffrance d’autrui.
Le Temps: Elargir l’aide au suicide à des personnes qui ne souffrent pas d’une pathologie, est-ce compatible avec le cadre légal suisse?
Samia Hurst: Le droit suisse ne criminalise pas le suicide et l’aide au suicide est définie de manière plutôt libérale par le Code pénal – quiconque souhaite en bénéficier doit être capable de discernement, absorber lui-même le produit létal, avec l’assistance d’une personne n’ayant pas de motif égoïste. Cela implique de trouver cette assistance. Il ne s’agit pas d’un simple droit, mais d’un «droit liberté». J’ose une comparaison avec le mariage: il n’existe pas de droit au mariage sans avoir trouvé un partenaire consentant. Les associations d’aide au suicide, quant à elles, possèdent leurs propres conditions, plus restrictives que le droit en vigueur. L’idée d’ouvrir l’accès à l’assistance au suicide est controversée et provoquera certainement de fortes résistances dans l’opinion publique.
– Aider une personne en bonne santé à mettre fin à ses jours, est-ce acceptable?
– Je doute de l’existence de personnes «fatiguées de vivre», qui seraient en fait en bonne santé mais souhaiteraient mourir. Nous devrions plutôt parler de fatigue de souffrir. Prendre la décision de mourir peut résulter d’une somme de souffrances, qu’elles soient visibles ou non. Il faut distinguer deux types de populations: les personnes qui souffrent d’un état mental altéré et se suicident de manière compulsive. Notre système de prévention doit éviter ces cas. Et il y a celles pour qui il s’agit d’une décision mûrement réfléchie, d’un suicide «rationnel». Seules ces dernières peuvent bénéficier d’un accompagnement vers la mort.
– Si l’on part du principe que l’assistance au suicide est tolérée, sur quels critères se base-t-on pour la limiter?
– La pratique actuelle veut que l’on puisse reconnaître des souffrances identifiables chez la personne avant de lui accorder un accès au suicide assisté. C’était d’abord une pathologie incurable et mortelle, puis les associations ont élargi la pratique en acceptant les polypathologies invalidantes (ndlr: multiples handicaps liés à l’âge, qui altèrent la qualité de vie mais ne sont pas mortels. Ces cas représentent actuellement un quart des accompagnements par Exit Suisse alémanique).
A présent, on invoque la possibilité d’ouvrir encore les critères. On touche à un problème sous-jacent peut-être insoluble: l’évaluation de la souffrance d’autrui. L’aide au suicide est plus acceptable s’il y a une souffrance visible et grave, qui résiste à tout traitement. Si on enlève ce critère, les désaccords s’accentuent. Il y a d’un côté ceux qui, comme le philosophe David Hume, estiment que la simple demande de mourir constitue une preuve suffisante, en soi, que la vie est devenue insupportable. Et ceux qui estiment qu’on ne doit pas entrer en matière sans avoir pu évaluer la souffrance d’autrui.
– La Suisse devrait-elle légiférer davantage?
– A chaque tentative, et il y en a eu plusieurs, que ce soit pour étendre l’aide au suicide ou pour la restreindre, le parlement a fini par préférer le statu quo. Face à l’augmentation importante des cas au cours des dernières années, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) est en train de revoir ses directives. C’est aussi une demande qui émane des médecins.