L'arrêt du vote électronique consterne les Suisses de l'étranger
Démocratie directe
Le Conseil fédéral renonce à faire du scrutin électronique un canal de vote officiel. Mais il laisse la porte entrouverte

L'Organisation des Suisses de l'étranger (OSE) est «consternée» par la décision du Conseil fédéral de ne pas reconnaître le vote électronique comme canal officiel. Les représentants de celle qu'on appelle la «Cinquième Suisse» ont besoin de cet instrument pour exercer leurs droits démocratiques, insiste-t-elle. Mais, pour l'heure, elle doit s'accommoder de la décision du gouvernement et voir si certains de ses affiliés pourront malgré tout utiliser ce canal de vote pour les élections fédérales de l'automne. La porte n'est pas complètement fermée.
Le chancelier de la Confédération Walter Thurnherr a annoncé jeudi que le Conseil fédéral avait décidé d'abandonner son projet «pour l'instant». Le vote électronique est officiellement suspendu et une remise en route ultérieure n'est pas exclue. Toutefois, le contexte dans lequel cette suspension intervient ouvre peu de perspectives d'avenir à ce mode de scrutin. Les Suisses, y compris ceux qui sont installés à l'étranger, continueront de voter en glissant un bulletin dans une urne ou par correspondance.
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Deux modèles étaient à disposition pour des essais en Suisse: l'un a été développé par La Poste en partenariat avec l'opérateur espagnol Scytl, l'autre par le canton de Genève. Le système de La Poste a été suspendu après la découverte de défauts de sécurité importants lors d'un test d'intrusion effectué ce printemps. Plus de 3000 hackers y ont participé pendant un mois. Une erreur a été détectée dans le code source, rendu public pour l'occasion, et, plus grave, des chercheurs indépendants ont identifié une «faille critique» qui permet à un individu de modifier le résultat d'un vote sans se faire remarquer.
La Poste a assuré que Scytl avait corrigé l'erreur. Elle a néanmoins décidé de suspendre son système pour les votations du 19 mai, le temps que la Chancellerie fédérale réévalue la situation. Elle procède actuellement à un audit. Le modèle de La Poste a été utilisé par les cantons de Neuchâtel, Fribourg, Bâle-Ville et Thurgovie. Le dépôt d'une demande pour les élections fédérales d'automne reste possible. Dans ce cas, la Chancellerie se déterminera à mi-août sur les demandes d'autorisation, s'il y en a.
De leur côté, les cantons se montrent résignés. «Le vote électronique est dans le peloton de tête des attentes des citoyens en matière de cyberadministration. Après quinze ans d'essai, le temps est venu de passer en phase de production ordinaire. Mais force est de constater que les efforts déployés n'ont pas permis d'atteindre le but visé», analyse la chancelière du canton de Fribourg, Danièle Gagnaux-Morel.
Délai trop court
L'instrument genevois CHVote était, pour sa part, condamné à disparaître au plus tard en février 2020, soit après les élections fédérales. Cette décision a été prise par le Conseil d'Etat pour des raisons financières. Les travaux de mise en conformité avec les exigences de sécurité se sont révélés trop coûteux. Vu la situation, le gouvernement cantonal a cependant décidé la semaine dernière d'anticiper l'arrêt de l'exploitation de sa plateforme d'e-voting. Le Conseil d'Etat a estimé que le calendrier fixé par le Conseil fédéral pour l'octroi d'une autorisation (mi-août) ne laissait pas assez de temps pour adapter, le cas échéant, le matériel de vote et le système d'information. En concertation avec ses trois clients que sont Argovie, Berne et Lucerne, Genève a par conséquent décidé de ne pas proposer le vote électronique pour les élections fédérales.
L'e-voting est ainsi dans l'impasse. La consultation organisée par le Conseil fédéral a donné des résultats contrastés: «Les cantons étaient pour, les partis politiques contre», résume Walter Thurnherr. En effet, 19 cantons se sont dits favorables à l'introduction officielle du vote électronique. Walter Thurnherr annonce que les essais pourraient reprendre. Mais leurs conditions seront rediscutées avec les cantons. Les discussions porteront sur l'évolution de la technologie, les contrôles indépendants et l'association des milieux scientifiques. Un rapport sera présenté d'ici à fin 2020.
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Mais les chances de résurrection semblent compromises. L'OSE craint que la décision de cette semaine entraîne la «démobilisation des acteurs impliqués, ce qui mettrait un terme définitif au vote électronique». Un comité composé de politiciens de tous bords et de personnes travaillant dans la sécurité informatique a lancé en janvier une initiative populaire demandant un moratoire sur le vote électronique en Suisse. Cela signifie que le peuple sera sans doute appelé à voter sur ce sujet (mais pas en ligne). Le comité d'initiative exige l'abandon complet et définitif du vote électronique et pas simplement sa suspension, écrit-il jeudi dans un communiqué.
Par ailleurs, le Conseil national adopté la semaine dernière une motion de Claudio Zanetti (UDC/ZH), un sceptique de la première heure, qui demande que les Suisses de l'étranger puissent «recevoir le matériel de vote par voie électronique, l'imprimer et voter par correspondance.» Cette motion, qui doit encore être adoptée par le Conseil des Etats, offre ainsi une solution de rechange à la «Cinquième Suisse.»