«Pas beau», «Lourd», «laid», «bouchon jaune», «pas une réussite», voire: «merde architecturale»... A peine libérés de leurs échafaudages, les nouveaux bâtiments du quartier lausannois du Rôtillon croulent sous les critiques. Plus ou moins fermes selon les sources, de l'«affreux» lâché par le popiste Alain Hubler, opposant de toujours, au «socle un peu lourd», concédé par le municipal responsable des Travaux, Olivier Français.
Les trois cubes jaunes posés sur un socle de béton gris à l'extrémité de la rue Centrale ont été terminés en juillet. Depuis, ils accueillent 19 appartements subventionnés, des commerces encore en chantier et un parking souterrain de 180 places.
Leur architecture choque d'autant plus que les riverains étaient habitués à la friche qui séparait auparavant l'artère des maisons historiques du vieux quartier du Rôtillon. «C'est un élément qu'il faut avoir à l'esprit, note Francesco Della Casa, architecte et rédacteur en chef de la revue Tracés. Quoi qu'on mette à cet endroit, les gens habitués à y voir du vide seront forcément déçus.»
Une barre de 100 mètres
Mais l'îlot B, première partie achevée du vaste plan de transformation du quartier, a tout de même un défaut aux yeux du spécialiste: son socle, trop haut par rapport au corps des trois bâtiments. Pour Francesco Della Casa, le principal coupable n'est pourtant pas à chercher du côté de l'architecte, Ivo Frei., mais plutôt du côté du Plan partiel d'affectation (PPA). Après un demi-siècle d'échecs, les autorités ont choisi un projet de consensus capable de rallier un maximum de soutien. «Construire d'après un compromis donne rarement des résultats probants.»
En soixante ans, le quartier a en effet connu quatre tentatives de transformation. Toutes ont échoué, soit devant le Conseil communal, soit devant le peuple. Il était alors question de construire trois tours d'habitation, puis un bâtiment en forme de banane, puis finalement une barre d'une centaine de mètres de long et sept étages. Ces échecs ont imposé à la Municipalité une nouvelle approche. Désormais, le Rôtillon devait garder son aménagement parcellaire hérité du Moyen-Age.
C'est cette structure qui est la responsable de la disproportion entre le socle en béton qui accueille les entrées du parking et les trois bâtiments des appartements. «Les associations d'opposants veulent toujours des constructions plus petites, constate Francesco Della Casa. Mais il faut pourtant densifier la zone. Pour l'architecte, ce sont les pires conditions de travail.» Les volumes et les formes des bâtiments sont ainsi méticuleusement fixés par le PPA, sans possibilité pour l'architecte d'y déroger.
Au final, sa seule marge de manœuvre est à l'intérieur, dans l'agencement des appartements. «Pour l'aspect extérieur, sans exagérer beaucoup, je dirais que notre travail se limitait quasiment à la couleur», sourit Ivo Frei. Et derrière les murs, les bâtiments du Rôtillon retrouvent des partisans. Jusqu'à Alain Hubler, forcé de constater que l'aménagement est une réussite: «J'ai des contacts avec des habitants qui m'ont assuré qu'ils y étaient très bien.» Même évaluation de Francesco Della Casa: «La qualité des logements est remarquable par rapport au budget du projet.»
Encore trois îlots à construire
Le projet d'Ivo Frei était-il pour autant le meilleur? Impossible à dire: le mandat de l'îlot B a été attribué sans mise au concours. Une procédure légale, mais cavalière au vu de l'importance des travaux dans un secteur aussi stratégique du centre-ville. La commune, propriétaire des terrains, aurait pu imposer une telle démarche lors de la conception du PPA en 1994. Elle ne l'a pas fait. «Les municipaux redoutaient d'ajouter une nouvelle exigence, qui aurait pu retarder encore un projet attendu depuis des décennies», explique un proche du dossier.
Malgré leur empressement, le Rôtillon traîne encore: les îlots A, B' et C ne sont toujours pas en chantier. Et la faute est une nouvelle fois à chercher dans le compromis initial: les volumes autorisés pour conserver l'organisation d'origine freinent les ardeurs des investisseurs, qui souhaitent y construire de nouveaux logements et commerces, ainsi qu'une crèche. Mais une mise à l'enquête pourrait être déposée cet automne, assure-t-on à la commune.