Même ses adversaires les plus virulents admirent son opiniâtreté. Dina Bazarbachi, avocate genevoise, rendue célèbre par la défense des Roms, incarne assez solitairement ici une vision très engagée du métier, qui plus est dans des causes particulièrement impopulaires. Les droits des mendiants et, tout récemment, ceux des détenus trop mal enfermés. «Elle est détestée par beaucoup de gens mais rien ne la freine. Le mérite d’un avocat, c’est précisément de tenir dans ces conditions», veut bien reconnaître le conseiller national Christian Lüscher, qui croise le fer régulièrement avec cette obstinée de la contestation.

Des lettres d’insultes, des menaces de mort, une croix gammée peinte sur sa boîte aux lettres, de la crème chantilly sprayée à l’intérieur, Dina Bazarbachi affronte depuis des années un climat particulièrement délétère. «Les gens la détestent et m’écrivent pour que j’arrête cette avocate qui empêche la police de faire son travail», raconte Christian Lüscher.

Mais il en faudrait bien plus pour décourager cette militante, née il y a 39 ans à Genève, d’une mère zurichoise et d’un père syrien. «Au début, j’étais paniquée. J’ai porté plainte une fois et la police a interpellé un déséquilibré. Depuis lors, j’essaye de ne plus trop m’inquiéter. Sur le moment, ça fait toujours quelque chose mais cela ne va pas m’arrêter», explique l’avocate.

Dans son petit bureau, là où s’empilent les milliers de procédures – contraventions ou saisies visant les mendiants –, Dina Bazarbachi, peu démonstrative mais si tenace, revient sur ce parcours qui l’a amenée à devenir le cauchemar des politiciens de droite. En fait, rien ne prédisposait cette étudiante à se transformer en pasionaria de la cause des Roms. Elle voulait se consacrer à la propriété intellectuelle. Poussée par une amie à faire un stage d’avocat, elle entre à l’étude de Me Doris Leuenberger et tombe, par la même occasion, dans la marmite des droits humains. «C’est devenu une évidence.»

Ce créneau est peu fréquenté par le barreau de la place. Hormis un Jean-Pierre Garbade, aux plaidoiries parfois flamboyantes et souvent percutantes pour la défense des victimes de violences policières, rares sont les avocats qui agissent par idéal. Dina Bazarbachi, qui se revendique comme une «généraliste», n’en fait pas tout un plat.

«Je me suis toujours refusée à facturer la défense des mendiants. Je ne veux surtout pas qu’on puisse dire que je me fais de l’argent avec ces recours.» Bombardés par ces procédures et souvent agacés par toute recourite aiguë, les juges font preuve d’une certaine tolérance. «On a davantage de compréhension pour ce type de défense que pour les avocats qui font tourner les compteurs», lâche un magistrat.

Dina Bazarbachi commence son aventure avec les Roms sous les ponts de Genève, là où les mendiants doivent dormir à défaut d’être acceptés dans les abris. Elle les entend raconter comment les policiers les font sauter sur place pour faire tomber ou sonner les pièces récoltées. En 2007, l’avocate lance sa première bataille juridique et marque des points en faisant valoir que l’interdiction de la mendicité n’a plus de base légale.

Le Grand Conseil, sous l’impulsion de députés PLR et UDC, vote une nouvelle loi. Qu’à cela ne tienne. Dina Bazarbachi se démène depuis lors sur tous les fronts. Celui de la forme, où sa guérilla procédurale aligne nombre de victoires et fait rager jusqu’au conseiller d’Etat Pierre Maudet, dont les services passent dernièrement à la caisse pour rembourser les sommes saisies. Sur le fond aussi, où les choses s’avèrent plus difficiles.

Pour l’avocate, la loi contre la mendicité doit être abrogée. «J’y arriverai. Pas au Tribunal fédéral mais à Strasbourg.» La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs pris contact avec son étude afin d’être tenue au courant de l’évolution du dossier. De quoi lui donner des ailes. Un arrêt récent de la Cour constitutionnelle autrichienne nourrit encore ses espoirs de faire reconnaître une violation de la liberté personnelle et de la liberté de communiquer.

«Amender la pauvreté est insupportable et absurde. C’est un combat que j’aimerais mener jusqu’au bout», précise Dina Bazarbachi. C’est bien ce qui laisse perplexe certains juges. «On peut se demander si elle a encore le recul nécessaire. Chacune de ces affaires est devenue la sienne propre. C’est son côté bille en tête.»

Même si une certaine lassitude pointe lorsque Dina Bazarbachi évoque ses dossiers roms, elle garde une combativité intacte et lorgne déjà vers d’autres thématiques explosives. La détention administrative, la «directive Jornot» qui vise les habitués du séjour illégal et la surpopulation carcérale.

Ce n’est certainement pas un hasard si cette militante est à l’origine des premiers jugements constatant, en ce début juin, l’illégalité des conditions de détention à Champ-Dollon. Lorsque des clients à elle, entassés dans des cellules, se sont plaints, elle a voulu «faire bouger les choses».

Dans cet affrontement-là, elle se sentira moins seule. L’Ordre des avocats, dont Dina Bazarbachi n’est pas membre, soutient et va jusqu’à encourager la démarche (LT du 03.05.2013). Le vice-bâtonnier Jean-Marc Carnicé ne s’en cache pas: «Ce qu’elle a fait dans ce contexte carcéral est remarquable. Elle a montré la voie et obtenu de bons résultats. A ce titre, Dina Bazarbachi représente un adversaire sérieux pour le Ministère public.»

Sans partager cette vision très politique et idéologique de l’exercice du métier d’avocat, Jean-Marc Carnicé souligne que son atypique consœur le fait bien et surtout avec cran. «Elle défend des personnes que peu de gens ont envie de défendre. Ce rôle est nécessaire dans le paysage d’aujourd’hui. Il n’y a qu’à voir les commentaires sur les blogs et les critiques pour réaliser à quel point le climat est tendu. Pour ce courage, j’ai de l’admiration.»

Une détermination dont on ne voit pas très bien ce qui pourrait venir à bout. Non sans malice, Dina Bazarbachi l’avoue. «En fait, je ne travaille pas, je m’amuse.» Et à ce jeu-là, les parties peuvent être particulièrement longues et animées.

«Elle défend des personnes que peu de gens ont envie de défendre. Ce rôle est nécessaire»