Ils ont tous les deux utilisé les bisses pour les travaux d’irrigation des cultures quand ils étaient enfants. Aujourd’hui, ils les étudient et se consacrent à la survie de ces aqueducs très en vogue depuis quelques années. «Nous sommes joignables nuit et jour pour les bisses», affirment Jean-Henry Papilloud, ancien directeur de la médiathèque de Martigny, et Armand Dussex, responsable du Musée des bisses, à Ayent.

Jean-Henry Papilloud est mem­bre du comité de l’Association des bisses du Valais, chargée du dossier scientifique pour la candidature des bisses valaisans à l’Unesco et auteur d’une analyse historique et économique de ces aqueducs. Cette dernière vient de paraître dans une édition revue et augmentée des Bisses du Valais, dont la première édition est épuisée depuis 2005. Johannes Gerber en est le coauteur pour la partie qui dresse un inventaire des ­bisses.

Pour parler de cet ouvrage, Jean-Henry Papilloud a choisi d’aller se promener sur le Grand Bisse de Lens avec Armand Dussex. «Il illustre bien les diverses utilisations que l’on a pu faire de ces constructions au fil des ­siècles», explique-t-il. A l’approche de la grande falaise qui surplombe la plaine du Rhône, le bisse disparaît dans un tunnel qui a été percé en 1984. Cet ­aménagement moderne diminue les travaux d’entretien du canal, évite les pertes d’eau en chemin et permet de contourner la zone dangereuse.

Mais le canal est né en 1442, pendant la première grande période de construction des bisses. «Après la grande peste du XIVe siècle, la population étant considérablement réduite, la quantité de terres agricoles par habitant a augmenté», explique Jean-Henry Papilloud. «Il a donc été possible d’augmenter les têtes de bétail et de faire ainsi le commerce de la viande, plus lucratif que celui des céréales.» Mais le fourrage est plus gourmand en eau que les cultures céréalières. «Le Valais connaissant une période de réchauffement climatique, on a construit des centaines de bisses pour arroser les prés et nourrir le bétail.»

La deuxième grande période de construction des bisses a lieu au XIXe siècle, avec l’arrivée du train, qui permet alors d’acheter des céréales à moindre coût à ­l’extérieur du canton et favorise ainsi une nouvelle intensification de l’élevage. «Il y a ensuite diverses campagnes de modernisation des bisses avec des subventions du canton et de la Confédération», poursuit Jean-Henry Papilloud.

La dernière a lieu juste après la Seconde Guerre mondiale. L’irrigation permet alors le passage à une agriculture davantage industrielle et extensive et les vignes remplacent peu à peu les prairies. Puis l’agriculture décline et les bisses, peu à peu, perdent de leur intérêt.

Pourtant, le virage vertigineux du Grand Bisse de Lens, à la sortie de la vallée de la Lienne, vient d’être reconstruit. Une structure en bois toute neuve ancrée dans la falaise soutient l’aqueduc dans lequel coule un peu d’eau qu’on a détournée du tunnel moderne. «Cela a été fait par une association de passionnés», explique Armand Dussex. Et ne sert qu’à la promenade touristique et au souvenir de l’histoire…

C’est que le Valais connaît un véritable engouement ces dernières années pour ces canaux d’ir­rigation. Le musée a ouvert ses portes à Ayent l’année dernière et l’Association des bisses a été créée en 2011 dans le but de promouvoir la candidature des bisses valaisans au Patrimoine mondial de l’Unesco. «Des constructions similaires existent aussi dans les Grisons, au Tessin, dans la vallée d’Aoste, mais il y en a beaucoup en Valais, avec des constructions spectaculaires», explique Armand Dussex.

Les deux hommes nourrissent le rêve de faire reconnaître ce ­patrimoine par l’Unesco. «Nous souhaitions postuler en 2014 mais la Confédération n’ouvrira pas de candidature avant 2017», explique Jean-Henry Papilloud. Toutefois, dans le canton, cette candidature fait débat. Les consortages – nom que l’on donne aux organisations réunissant les divers ­propriétaires et utilisateurs du bisse – craignent de perdre leur liberté lors des rénovations. Et personne n’est encore très au clair sur ce qu’il convient de faire de ce réseau d’irrigation entre utilisation agricole, argument touristique et patrimoine historique. «Toute la question est là: comment convient-il de s’en occuper et de le financer pour qu’il perdure?» se demande Jean-Henry Papilloud.

En face du Grand Bisse de Lens, la vallée est verdoyante. A l’ex­ception d’une colline en pain de sucre, entièrement dorée. «Après fauchage, si les prés sont jaunes, c’est parce qu’il n’y a pas de bisse pour les irriguer», explique Armand Dussex.

Depuis quelque 700 ans, ces canaux, dont les lignes à flanc de coteaux sont le plus souvent invisibles, sculptent et colorent les paysages valaisans, les protègent des incendies, et assurent une importante biodiversité des coteaux. Et ni Jean-Henry Papilloud ni Armand Dussex ne savent exactement à quoi pourrait ressembler la vallée du Rhône sans leur aide.

Les Bisses du Valais, Jean-Henry Papilloud et Johannes Gerber, Editions Monographic 2013, 360 pages.

«Des constructions similaires existent dans les Grisons, au Tessin, dans la vallée d’Aoste. Les plus spectaculaires sont en Valais»