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L'Ecole polytechnique de Zurich devra se remettre en question

La crise causée par la démission de son président affaiblit l'institution. Au-delà du conflit de personne se posent les questions de son organisation et de son orientation.

L'ETH de Zurich ressort ébranlée de la crise qui a conduit à la démission mercredi de son président Ernst Hafen. Les premières réactions apparues sur le site de l'institution sont sévères: «Un putsch bien organisé des généraux contre le président. [...] L'ETH est-elle une république bananière?» demande par exemple un intervenant.

Et le nouveau directeur intérimaire, le recteur Konrad Osterwald, dont le poste, ironie du sort, aurait dû être supprimé dans le nouvel organigramme, n'a rien fait jeudi pour dissiper l'impression de flottement. Il a d'abord invité les médias pour le jour même à venir s'informer sur la manière «décidée» dont il comptait conduire l'institution au cours des prochains mois, avant de repousser cette rencontre pour des «incompatibilités d'agenda».

Il est probable que derrière cette formule se cache l'intervention du Conseil des Ecoles polytechniques fédérales, l'organe stratégique pilotant les écoles de Zurich et de Lausanne, qui voulait d'abord tenir sa propre réunion hier soir à Berne pour faire le point sur la situation.

La Commission de la science, de l'éducation et de la culture du Conseil national veut en tous les cas en savoir plus et a convoqué Alexander Zehnder, le président du Conseil des EPF, pour sa prochaine séance le 17 novembre. «Nous sommes inquiets et voulons savoir comment l'ETH, qui reçoit beaucoup d'argent de la Confédération, envisage le futur», a déclaré la présidente de la commission, la Zurichoise Kathy Riklin. «Pour la Suisse et pour Zurich, les tensions actuelles dans l'institution zurichoise ne sont pas bonnes.»

Fronde contre la suppression du recteur

Car il y a bien les conflits liés à la personne d'Ernst Hafen, qui a reconnu lui-même avoir des déficits au niveau de la communication. Mais au-delà, l'EPFZ doit faire face à une crise du système. La fière école qui vient de fêter en grande pompe ses 150 ans ne pourra pas éviter un débat sur son organisation et sur son orientation.

Lâché à tous les niveaux - par la direction de l'école, par le Conseil des EPF et par le Département fédéral de l'intérieur -, le président déchu Ernst Hafen avait dû faire marche arrière avec son projet de réorganisation. Son modèle d'une direction plus centralisée inspiré des Etats-Unis a heurté de plein fouet la sensibilité des professeurs. En particulier la suppression du poste de recteur, le numéro deux dans la hiérarchie et une spécialité zurichoise, a été très mal reçue. Elle aurait privé les professeurs de la possibilité de désigner ce primus inter pares, une prérogative à portée hautement symbolique, qui consacre une vision individualiste du professeur, seul maître à bord.

Des Prix Nobel ou Alinghi?

Sans s'exprimer sur le cas de l'ETH de Zurich, Jean-Pierre Danthine, professeur de macroéconomie à l'Université de Lausanne (HEC) et directeur désigné du Swiss Finance Institute, remarque que les hautes écoles suisses donnent beaucoup de pouvoir aux professeurs individuels. «On a mis sur un piédestal ce système de milice. Or les professeurs consacrent 50% de leurs tâches à de l'administration. Une direction forte de l'institution pourtant les libérerait, leur permettant de se consacrer à l'essentiel. Mais c'est toujours très difficile de changer de régime.»

Xavier Comtesse, directeur romand d'Avenir suisse, n'hésite pas à parler de système de mandarinat. «La question fondamentale qui se pose à chaque haute école est, en résumé, de savoir si elle veut des Prix Nobel ou des Alinghi. A l'ETH de Zurich, on en est encore aux Prix Nobel, mais est-ce compatible avec une université du XXIe siècle? A l'EPFL, Patrick Aebischer a pris clairement l'option de la modernité. Il a abandonné ses recherches pour devenir un CEO.» Il ne voit pas non plus de danger dans la collaboration accrue avec l'économie: «Il y a sinon plutôt danger que les hautes écoles deviennent des tours d'ivoire. L'informatique et les sciences de la vie se sont développées d'abord à l'extérieur des institutions.»

La conseillère nationale Kathy Riklin, en revanche, ne cache pas son scepticisme envers le modèle de réorganisation du président déchu: «L'ETH a besoin de réformes, mais pas d'un traitement de choc, les structures de l'institution ont fait leurs preuves.» Elle espère que les autorités fédérales, Pascal Couchepin en tête, auront la «sagesse» de prolonger pour une à deux années la direction intérimaire de Konrad Osterwald. Car cela permettrait de revoir la loi sur les Ecoles polytechniques. «En accordant une voix aux deux présidents des Ecoles de Zurich et de Lausanne dans le Conseil des EPF, le parlement a fait une erreur. Ils ont trop de poids dans cet organe.»

Les soubresauts zurichois vont ainsi tôt ou tard se répercuter à Lausanne.