Magistrat et universitaire suisse, Carl Baudenbacher préside depuis 2003, nommé par le Liechtenstein, la Cour de justice de l’AELE basée à Luxembourg. Il déplore les raccourcis et la désinformation, en Suisse, au sujet de l’Espace économique européen.

Le Temps: Vingt ans après, l’EEE n’est-il pas, comme l’actuelle voie bilatérale, confronté à une certaine impasse? Carl Baudenbacher: Absolument pas! L’EEE de 2012 fonctionne bien et a un avenir. Ses structures institutionnelles sont solides, efficaces, et les garanties dont bénéficient les Etats membres sont très importantes. Le Conseil de l’UE l’a plusieurs fois répété. N’oubliez pas que, grâce à cet accord, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège disposent depuis vingt ans d’un accès entier et non discriminatoire au marché de l’UE, tout en restant à l’écart des politiques communes en matière de monnaie, d’agriculture et de commerce extérieur. Pour le secteur privé, cela veut dire sécurité légale, clarté du droit et garantie de transparence. Bref, tout ce qui manque dans la centaine d’accords bilatéraux…

– N’empêche: hormis Christophe Darbellay, personne n’en veut en Suisse…

– L’EEE est victime d’une «alliance malsaine» entre les europhobes souverainistes et les partisans de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne. On le juge sur ce qu’il était sur le papier en 1992. On liste les préjudices. On ne prend pas la peine d’étudier cet accord, que le gouvernement norvégien vient de reconfirmer. L’EEE mérite d’être réhabilité, étudié, évalué. Pourquoi personne ne fait ce travail?

– Votre Cour de justice est l’instance suprême de contrôle de l’EEE. Est-elle un atout?

– On décide rapidement, et en toute transparence. N’est-ce pas de cela que les opérateurs économiques ont besoin?

– Les pays de l’EEE ont toutefois un gros problème: leur droit de veto est très limité...

– Il ne s’agit pas d’un droit de veto, mais d’un droit à «l’opting out» (dérogation). La difficulté, c’est vrai, est que l’UE peut, en rétorsion, adopter des mesures de sauvegarde. Mais regardons les faits avant de juger: la Norvège, qui refuse la troisième directive communautaire sur les services postaux, a décidé de l’activer et, pour l’heure, rien ne s’est passé. Il faut aussi bien comprendre que l’arrivée de la Suisse renforcerait considérablement le pilier des pays non UE. Je ne prétends pas que tout serait simple. La question de la démocratie directe, par exemple, doit être étudiée. L’EEE mérite mieux que les caricatures.