Il n’y a pas que les leaders de la droite radicale européenne qui jubilent. En Suisse aussi, la nouvelle de l’élection de Donald Trump fait des heureux. «Quand la voix du peuple s’exprime… c’est sans appel!», a déclaré le fondateur du Mouvement citoyen genevois Eric Stauffer peu après l’annonce des résultats, félicitant le nouveau président américain sur Facebook.

Au jeu des comparaisons, le MCG, à côté de la Lega tessinoise, est sans doute le parti le plus proche de la vision du monde qu’a distillée Donald Trump au cours des derniers mois: à la fois protectionniste, souverainiste et anti-immigration.

L’échec des élites – médias, partis établis et experts – face à l’arrivée au pouvoir d’un populiste, la victoire du «peuple contre l’establishment», l’avènement d’un nouveau rapport de forces mondial qui verrait les nations se recentrer sur leurs intérêts, un discours anti-islam et xénophobe décomplexé: voilà ce qu’incarne Donald Trump aux yeux de la droite nationaliste, qui se sent pousser des ailes.

Parmi les plus enthousiastes: l’éditeur de la Weltwoche et conseiller national UDC Roger Köppel, qui se profile en successeur de Christoph Blocher. Dans un éditorial qui paraît ce jeudi, le politicien raconte avoir assisté, nuit après nuit «en silence», fasciné, à la montée de «la plus grosse sensation de l’histoire actuelle». Au moment du verdict, il «s’est surpris» à crier de joie.

Ce n’est pas le personnage qui lui fait cet effet, mais le «raz de marée démocratique» qu’il a provoqué. L’élection de Donald Trump, selon Roger Köppel, est une «immense claque» dans le visage du système. Les médias, les grands partis, les intellectuels «politiquement correct», ceux qui ont diabolisé le milliardaire américain: ils se sont tous trompés. L’arrogance et l’hypocrisie des élites ont mené à cette victoire qu’il appelle un «miracle politique», une «révolution». Et de conclure: «Je donne une chance à Trump de surprendre ceux qui le critiquent».

Un «séisme» à même d’influencer l’agenda suisse

Jérôme Desmeules triomphe: «Trump, Brexit ou UDC, un espoir de liberté et de souveraineté souffle sur le monde!» Président de l’UDC du Valais romand, il manifeste son soutien à Donald Trump depuis des mois. Il est convaincu que les deux tiers des militants de son parti «partagent une communauté d’idée» avec le milliardaire, «au moins sur la mondialisation».

Sacramento, San José ou Las Vegas: le politicien valaisan a assisté à plusieurs meetings de la campagne républicaine. Une casquette «Make America great again» vissée sur la tête, il analyse le vote américain comme «une victoire des réseaux sociaux, plus directs, sur des médias traditionnels trop partisans». Convaincu que «ce séisme» influencera l’agenda politique suisse, il éclate de rire: «Les électeurs ont fait un grand doigt d’honneur à l’establishment.»

C’est aussi ce que pense Claudio Zanetti, qui a suivi l’élection minute par minute jusqu’au matin. S’il était Américain, le conseiller national UDC aurait voté pour le candidat républicain sans hésitation: «Son élection renforce le point de vue de tous ceux qui estiment qu’un pays doit s’occuper de ses affaires internes, plutôt que de laisser son destin entre les mains de comités de fonctionnaires internationaux», affirme le Zurichois.

Sans compter que l’UDC, qui voit dans les Etats-Unis le responsable de l’abandon du secret bancaire et de l’interventionisme fiscal, se réjouit de tourner la page Obama: «C’est sous son gouvernement, allié à un Conseil fédéral affaibli, que la Suisse s’est vue imposer de nouvelles contraintes».

Depuis Buffalo, dans l’Etat de New York, le conseiller national genevois Yves Nidegger fait preuve de davantage de réserve, en tant observateur pour l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Mais il voit lui aussi l’arrivée des Républicains au pouvoir d’un bon oeil: «L’héritage démocrate a été lourd pour la Suisse. Sous l’administration démocrate, les Etats-Unis incitent les autres pays à déréguler afin de mieux imposer leurs propres règles, en tant qu’Etat dominant. Donald Trump est le produit d’une nouvelle Amérique, moins forte qu’avant, qui doit avant tout se protéger.»

Pour ses propos contre l’islam et pour des barbelés aux frontières, l’UDC hardliner Andreas Glarner a été surnommé le «petit Trump de Suisse». Une comparaison qu’il ne renie pas: «Donald Trump veut baisser les impôts, réduire l’immigration, il critique l’islam et souhaite restaurer l’ordre et le droit. Sur tous ces aspects, oui, je me sens proche de lui.» Le conseiller national, responsable de la politique de l’asile au sein de son parti, se réjouit lui aussi du repli annoncé des Etats-Unis: «Donald Trump, c’est la fin d’une Amérique en policier du monde».

Christoph Blocher est-il le «frère jumeau de Trump», selon la formule de l’ancien député européen Daniel Cohn-Bendit dans une interview au Tages-Anzeiger en mars? Ces deux «self made men» milliardaires au discours sans nuance, qui jouent le peuple contre l’élite – tout en faisant partie de la seconde catégorie – se rejoignent dans leur nationalisme conservateur. Mais le tribun de l’UDC ne partage pas l’antimondialisme de Donald Trump, qui dit vouloir imposer des barrières au commerce mondial.

Leur plus grand point commun: leur électorat. «Le vote en faveur de Donald Trump est l’expression d’une catégorie de la population frustrée des effets de la globalisation, qui voit ses conditions de travail se dégrader et se sent oubliée des élites. Ces frustrations existent en Suisse aussi, même si dans notre pays, les inégalités sont moins grandes et le système politique, basé sur la collégialité et le fédéralisme, limite l’impact des forces populistes», analyse le politologue lausannois Oscar Mazzoleni.

Collaboration: Xavier Lambiel