La gauche a souvent caressé l’idée d’une élection du Conseil fédéral par le peuple. Mardi, au Conseil national, une seule voix de gauche, celle du Vert Bastien Girod (ZH) s’est portée sur l’initiative de l’UDC. Même si plusieurs voix socialistes continuent de défendre le principe.

Après le Conseil des Etats en septembre, la Chambre du peuple a donc recommandé à son tour le rejet de l’initiative populaire de l’UDC, sans contre-projet. Avec 43 voix seulement contre 128, l’UDC n’a même pas rallié la totalité de ses 56 élus au Conseil national.

«Cette initiative ne suscite pas l’enthousiasme chez certains députés, car elle risque de provoquer un bouleversement complet de nos institutions qui, fondamentalement, fonctionnent bien», avouait le Vaudois Pierre-François Veillon. Celui-ci s’est abstenu, tout comme l’ancien président UDC du National, Hansjörg Walter, ou son collègue André Bugnon et quelques élus bernois.

Sous le coup de la colère et de la frustration après l’éviction de Christoph Blocher du Conseil fédéral, l’UDC a lancé une initiative qui s’apparente davantage aux revendications de la gauche qu’aux priorités de son aile la plus modérée de préserver le système. Lors du débat, le rapporteur de la Commission des institutions politiques, le socialiste zurichois Andreas Gross, n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler que l’élection du Conseil fédéral par le peuple est d’abord une idée de gauche.

Après le rejet en 1900 de l’initiative portée par les socialistes et les catholiques conservateurs, puis en 1942 d’une deuxième tentative soutenue par le PS, l’idée a ressurgi en 1984, notamment par une motion de la socialiste jurassienne Valentine Friedli, après l’échec de Lilian Uchtenhagen pour le Conseil fédéral. Elle a ensuite été émise à nouveau par Micheline Calmy-Rey et Pierre-Yves Maillard. A l’origine, à chaque fois: le mécontentement ou la frustration de la gauche de ne pas être représentée au Conseil fédéral proportionnellement à ses forces ou par les élus de son choix.

Et encore, aujourd’hui, «l’UDC aurait pu trouver des alliés au sein du PS, si elle avait posé des conditions quant à la transparence et aux limites financières de la campagne électorale. Car il y a un réel souci à gauche d’élargir et de renforcer les droits populaires», a regretté Cédric Wermuth (PS/AG). L’ancien président des Jeunes socialistes est d’accord sur un point avec le discours officiel d’un Christoph Mörgeli (UDC/ZH): il faut en finir avec le marchandage et le petit jeu de conspiration des parlementaires. Il est d’ailleurs, avec la Vaudoise Ada Marra et le Valaisan Mathias Reynard, à l’origine d’une initiative parlementaire prévoyant l’élection par le peuple d’un Conseil fédéral à neuf membres, selon une répartition régionale et non linguistique, avec un mandat présidentiel de deux ans.

Comment expliquer le rejet de l’initiative de l’UDC tout en marquant une certaine sympathie pour le principe du suffrage universel? C’est le dilemme dans lequel s’est retrouvée une aile gauche du PS, mais aussi une majorité des Verts. Au groupe socialiste, on s’en est sorti grâce à une proposition de contre-projet direct porté par la Vaudoise Cesla Amarelle. Il prévoit d’assurer une meilleure représentation des minorités linguistiques, en particulier italophone, grâce à une augmentation du nombre des conseillers fédéraux de sept à neuf. Mais le Conseil national a refusé, par 120 voix contre 61, toute idée de contre-projet.

Selon Cesla Amarelle, la clause prévue dans l’initiative pour garantir au moins deux conseillers fédéraux issus de régions non germanophones ne permet pas d’assurer aux italophones une représentation régulière. Le texte les met en effet en concurrence directe avec les Romands.

De plus, pour Antonio Hodgers (Verts/GE), «au final, ce sont toujours les Alémaniques qui choisiront les représentants latins».

L’UDC aurait peut-être pu trouver un appui plus solide à gauche si elle s’était prononcée pour une élection au système proportionnel, comme le demandait le Vert zurichois Balthasar Glättli.

Mais la sympathie de la gauche pour l’initiative de l’UDC a ses limites. Car, soupçonne le Vaudois Roger Nordmann, son «véritable objectif est de bloquer le système politique en basculant dans une campagne électorale permanente». Comme les mouvements populistes, a ajouté Andreas Gross, l’UDC souhaite éliminer tout ce qu’il peut y avoir entre le peuple et le gouvernement. C’est bien le risque d’un déséquilibre entre les pouvoirs, la diminution du rôle du parlement et la menace que ferait planer la personnalisation du pouvoir sur la collégialité du Conseil fédéral que craignent la majorité du Conseil national et le Conseil fédéral lui-même.

L’élection du Conseil fédéral par le peuple est d’abord une idée de gauche