L'«émir» de Winterthour, personnage central des réseaux islamistes suisses
Radicalisation
Un jeune homme de 30 ans a été placé en détention préventive pour ses liens supposés avec le djihad international

La police a arrêté un jeune homme soupçonné de liens avec le terrorisme, rapporte la SRF dans son émission Rundschau, diffusée ce soir. S., 30 ans, se trouve actuellement en détention préventive à Berne. Le jeune homme, né d’un père catholique italien et d’une mère d’ex-Yougoslavie, s’est converti à l’islam il y a neuf ans. Il s’agirait d’une personnalité «centrale» et «influente» dans les cercles islamistes de Winterthour. Il aurait pu jouer un rôle dans la radicalisation de plusieurs jeunes musulmans, dans cette ville de 108 000 habitants, dont le nom est une fois de plus associé au djihadisme international.
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Au moins sept jeunes sont partis au combat en Syrie ou en Irak depuis Winterthour. La plupart fréquentaient la même mosquée, An Nour. L’un d’entre eux, Valdet Gashi, a trouvé la mort là-bas en 2015, selon les informations de sa famille. Ce champion de boxe thaïlandaise connaissait S.: les deux garçons, réunis par leur amour des sports de combats, s’entraînaient ensemble avec d’autres jeunes hommes, dans une salle de sport au sous-sol d’un centre commercial. Ils auraient tenté, sans succès, de fonder un centre de combat islamique, le MMA-Sunna-Gym, d’où les femmes et la musique auraient été exclues. C’est son implication dans un trafic d’anabolisants qui a permis à la police d’arrêter S et de mener des perquisitions à son domicile.
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On ignore si S. s’est lui-même rendu en Syrie où s’il n’a fait que «tirer les ficelles» en arrière-plan, comme le suppose la SRF, qui le décrit comme un «meneur d’homme». S. bénéficiait d’une confiance totale de la part des responsables de la mosquée An Nour, où il se rendait régulièrement. «Il faisait partie des quatre ou cinq personnes qui possédaient les clefs du bureau de l’imam», explique Kurt Pelda au Temps. Le journaliste indépendant, responsable de cette enquête, a observé la scène salafiste de Winterthour durant plus d’un an. «Ils vous diront tous qu’ils sont pour la paix, contre le terrorisme. Mais une minorité d’entre eux, lorsqu’ils sont entre eux et hors de vue, prônent une idéologie extrémiste», dit-il.
Ils vous diront tous qu’ils sont pour la paix, contre le terrorisme. Mais une minorité d’entre eux, lorsqu’ils sont entre eux et hors de vue, prônent une idéologie extrémiste
Pour observer derrière les portes closes, Kurt Pelda a fait appel à un informateur, qui a fréquenté la mosquée An Nour pour les buts de l’enquête. Lequel raconte que S. est toujours chaleureusement accueilli et s’entretient régulièrement avec les imams en privé. Un fois hors du lieu de culte, il se rassemblait avec un groupe de jeunes et ensemble ils «écoutaient des chansons qui appellent à faire le djihad contre l’Occident. Ce sont pour la plupart des chants de l’Etat islamique», poursuit l’informateur.
Distribution de Corans
Mais c’est dans son engagement auprès de «Lies!» (Lis!, en français) que le rôle de meneur de S. apparaît le plus clairement. Le jeune homme aurait, toujours selon Kurt Pelda, fondé il y a quatre ans la filiale suisse de cette organisation allemande, qui distribue gratuitement des corans dans les rues. Dans un chat avec une jeune femme sur Facebook, S. se décrit lui-même comme un «émir» de cette organisation (commandant). Plusieurs autres jeunes partis faire le djihad, dont deux au moins de Winterthour, sont liés au courant Lies!. Derrière ce mouvement, très présent en Suisse alémanique, se trouve le prédicateur Ibrahim Abou-Nagie, un chef d’entreprise de Cologne d’origine palestinienne, proche des milieux salafistes. Il s’est donné pour mission de distribuer 25 millions de corans en Allemagne, en Autriche, dans les Balkans et en Suisse.
Le Ministère public de la Confédération refuse de communiquer sur cette affaire. Il précise «prendre connaissance avec regret que la rédaction en chef de la SRF n’ait pas accédé à sa requête de reporter la diffusion de ce sujet de quelques semaines». La publication de ces informations «nuit à une procédure pénale en cours en lien avec le terrorisme islamique», ajoute le service de communication du MPC, qui redoute un «danger de collusion».