Publicité

A l'EPFL, on n'a pas encore de président, mais on a des idées et des regrets

Profondément divisé sur les options à prendre pour l'avenir, le «Poly» de Lausanne entame une singulière période de régence due à l'absence de son président désigné Patrick AebischerL'établissement bouillonne de débats sur les choix stratégiques présentés par le nouveau patron. Mais le sentiment prédominant est celui d'une grave perte d'image pour une Ecole qui se veut prestigieuse

Une Ecole polytechnique fédérale de Lausanne sans président, ça trompe énormément. Le curieux qui s'attendrait à trouver l'EPFL sens dessus dessous, au deuxième jour de sa période de régence entamée par la défection temporaire du président désigné, serait troublé: Patrick Aebischer, qui vient de Médecine et compte notamment accroître la part des sciences de la vie à l'EPFL, a beau la bouder en attendant que ses conditions soient remplies (Le Temps du 2 mars), l'Ecole fonctionne bien quand même, assure-t-on dans les couloirs. Au sein des départements et derrière les portes des laboratoires, on n'en débat pas moins.

Formellement, la direction est assurée jusqu'à nouvel avis par l'équipe dirigeante formée par Jean-Claude Badoux, à la retraite depuis mardi soir. Celui-ci ayant renforcé la hiérarchie en installant un quatuor de gestionnaires aux prérogatives précises, des contrats peuvent donc être signés, des auxiliaires engagés, etc. Cruauté de l'histoire, le président par intérim Dominique de Werra, homme aussi discret que volontiers pince-sans-rire, avait lui-même concouru au poste suprême. Mais la petite histoire a aussi ses parenthèses. Les étudiants passent actuellement des examens et certains défendent leurs travaux finaux. «Qui seront les officiels pour signer nos diplômes s'il n'y a personne comme président?», questionne malicieusement un diplômant au zinc de Satellite, le cabaret-bar du village EPFL, avant d'aller «nourrir sa tablée» d'un généreux pot de bière de Mars.

Autour des verres, les discussions vont parfois bon train. Les rumeurs aussi: car hormis un incompréhensible communiqué de presse du Conseil des EPF et deux courriers électroniques avant le 1er mars, plus rien ne filtre officiellement. Les seules sources d'information sont le journal interne et la presse. Modérant son ton, l'association des professeurs, qui écrivit à Ruth Dreifuss pour dénoncer la mainmise des sciences de la vie programmée par le chercheur en médecine, a ouvert une consultation interne pour apporter des propositions «constructives». Il n'y a pas de résistance au changement, assure son responsable Philippe Thalmann, mais «la volonté de réfléchir à tous les enjeux dont Patrick Aebischer ne parle pas, par exemple l'avenir de la formation».

Les professeurs ne constituent toutefois pas un front homogène. Lorsque les chefs de départements ont dû se prononcer sur le préprogramme de Patrick Aebischer, la semaine dernière, les représentants des Systèmes de communication, l'un des fleurons de l'institution et son poids lourd en effectifs débutants, ont approuvé. Les onze autres ont contesté… Les grandes inquiétudes sont nourries du côté du Génie civil ou de l'Electricité, deux départements dont l'effectif affiche une baisse ces dernières années. Rumeur résumée: «Si nous ne sommes plus assez nombreux, on fermera notre département.» Alors que les précédents présidents ont réussi à étendre l'Ecole en période de fastes fédérales (Bernard Vittoz) ou à développer de nouveaux secteurs sans trop de casse en pleine austérité (Jean-Claude Badoux), certains vont même jusqu'à voir en Patrick Aebischer un «missile envoyé par Berne pour faire le ménage structurel».

Parmi les chercheurs qui œuvrent déjà dans les domaines du génie médical ou des produits pharmaceutiques au sein de l'Ecole, on s'étonne de telles critiques. «Actuellement, l'EPFL en fait trop ou trop peu. Nous avons des activités de recherche comparables à celles de la Faculté de médecine, mais n'avons à disposition que la littérature d'une école d'ingénieurs. Nous nous sentons plus à l'aise à la Faculté…», glisse un chercheur en chimie.

Reste que, même auprès des spécialistes séduits par les plans du nouveau président, la «méthode Aebischer» est reconnue défaillante. Ce qu'illustre martialement cet assistant en informatique: «Les sciences de la vie, c'est une option gagnante. Il y a des contrats et de l'argent à drainer dans ce secteur, et même les informaticiens en demandent pour leurs modèles. Mais avec lui, c'est Bismarck!».

Un bac à sable politique

En attendant «Bismarck», l'Ecole est pour ainsi dire décapitée, et c'est ce qui paraît décevoir en premier lieu ses fidèles. Contrairement aux universitaires, plus cérébraux, les étudiants et les doctorants EPFL entretiennent un réel attachement à leur «Poly». Ce n'est pas un hasard si les principales fêtes estudiantines romandes, de Balelec à Vivapoly, se déroulent sur le campus d'Ecublens. Provenant de dizaines de nationalités différentes, en contact quotidien puisque le cursus se fait en classes, les jeunes ont besoin de s'identifier à cette institution qui les pressure autant qu'elle les anoblit socialement. Que des politiciens et des stratèges en fassent leur «bac à sable» les choque, à l'instar de notre informaticien, qui se demande ce qu'il doit répondre à ses interlocuteurs suisses ou étrangers. Eh bien, que le show continue?