Dans le cas de l'hôpital de Moudon, les Associations d'EMS se sont sèchement plaintes auprès de Charles-Louis Rochat «d'une inégalité de traitement flagrante»: «On nous dit qu'il y a trop de lits et on se prépare à investir des sommes importantes dans une structure inadéquate», s'emportaient les trois présidents signataires. «On ne construit pas un hôpital comme un EMS, explique Bernard Russi. Le premier est un lieu de vie, le second un lieu de passage. A défaut de très lourdes transformations, il y aura toujours dans un ex-hôpital des chambres difficiles à meubler, des couloirs trop larges et des espaces communautaires étriqués.» Chef du Service de la santé publique, Marc Diserens récuse toutes les accusations: «Il n'y a aucun projet machiavélique, il n'y a pas de volonté de faire peser la planification hospitalière sur celle des EMS.» Selon lui, si la transformation de Moudon peut être envisagée c'est parce que la Broye manque globalement de lits médico-sociaux: «On peut combler ce besoin tout en fermant ailleurs des lits trop vétustes pour être rénovés. Donc, on le fait.» Dans la région, on conteste ce raisonnement, en soulignant que si la Broye a des besoins, ils sont surtout apparents à Payerne.
Au cœur de cette polémique se trouve le projet nommé «EMS 2000», qui prévoit le redimensionnement du réseau médico-social vaudois, actuellement fort de près de 5800 lits. Il s'agit de lui faire perdre de 400 à 600 lits, pour passer d'un taux de couverture de 5,5 lits pour 100 personnes âgées de plus de 65 ans, à moins de 4,5 lits. Au service de la Santé publique, on estime que le maintien à domicile n'a pas produit tous ses fruits, et qu'on est loin d'avoir exploré le potentiel des courts séjours, et des unités d'accueil temporaires. Dans le même temps, on relève que l'EMS, lieu de vie communautaire, est un endroit dans lequel les personnes âgées entrent de plus en plus tard, et dans des conditions de santé qui nécessitent de plus en plus de soins. Ce qui justifie à la fois la tendance à favoriser les grands établissements, avec le but de se rapprocher d'une moyenne de 50 lits, et la réutilisation d'anciens hôpitaux.
A côté des besoins?
Du côté des privés, on se plaint de subir un moratoire, alors qu'une explosion des besoins est programmée entre 2010 et 2030. «On court le risque de voir l'Etat tout gérer de façon centralisée au moment où les besoins auront explosés», juge Alain Gasser, directeur d'EMS à Lucens, membre de la commission EMS 2000 et vice-président de l'hôpital de Moudon. S'appuyant sur une récente étude, lui-même prévoit une explosion des demandes pour des appartements protégés qui sont beaucoup plus attrayants que les EMS au niveau des conditions de vie, et qui seront accessibles grâce aux moyens dont disposeront les personnes âgées par le biais des caisses de retraites. «On risque d'avoir des EMS à moitié vides, ne correspondant plus à la demande, mais entravant la réalisation de structures modernes répondant aux vœux des gens», avertit Alain Gasser. «Ce ne sera pas la même clientèle qui sera visée», rétorque Marc Diserens. En fait, l'équilibre du système semble devoir reposer longtemps encore sur une collaboration «privé-public», que l'actuel climat de méfiance ne facilite pas.