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#LeTempsAVélo, première étape: de Bardonnex à Morges

Le tour de Suisse à vélo du «Temps» a commencé à Bardonnex, à la frontière entre le canton de Genève et la France. Au fil de leur trajet, nous avons suivi le parcours de nos journalistes jusqu’à Morges

Marc Guéniat (à gauche) et Serge Michel, prêts au départ. — © Julien Pralong/Le Temps
Marc Guéniat (à gauche) et Serge Michel, prêts au départ. — © Julien Pralong/Le Temps

#LeTempsAVélo

Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.

Vendredi 3 septembre

■ Marc Guéniat, Morges, 15h33

Nous sommes partis le cœur léger en fin de matinée, pour une longue et agréable descente à travers champs et bois en direction de Morges. La journée s’annonçait sereine, avec pour mission de remplir un ou deux carnets de bord et de donner un coup de main à l’équipe marketing au stand de Heidi. news au Livre sur les quais.

Arrivés au bord du lac, un ravitaillement s’imposait. Pizza au restaurant du tennis, vue imprénable les bâches et les grillages des courts, où deux joueurs s’échinent à envoyer leur balle en direction de notre table. Heureusement, ils ne frappent pas très fort. C’est au moment de régler l’addition que sont survenues les complications. Mon porte-monnaie! Oublié chez notre hôte, laquelle est partie flâner à Lausanne (nous taisons son nom car elle est censée travailler aujourd’hui). Comment le récupérer? Dans une triangulation que seule la téléphonie mobile rend possible, notre hôte mobilise une voisine, qui identifie la sacoche noire contenant le porte-monnaie, négligemment abandonnée sur la terrasse.

Julien paie l’addition, c’est déjà ça. Remonter à vélo? A nouveau, une bonne excuse m’en dispense: nous avons déjà entreposé nos bécanes au camping du TCS, dont l’accueil est fermé entre midi et deux. Toujours plein de ressources, le marketing prête sa Suzuki blanche, qui reste à trouver dans un vaste parking, ainsi que 20 francs pour ajouter de la sans-plomb. Trente minutes plus tard, nous revoici donc à Vufflens-la-Ville.

Le trajet de retour se passe sans encombre. Nous pouvons rejoindre le stand Heidi. news en toute décontraction. C’est là qu’interviennent Suzy et Werner, sympathique couple de retraités originaires du Toggenburg. Ils veulent une dédicace des Tamedia Papers. Diable! Ce premier exercice se révèle déstabilisant. Nous autres journalistes sommes davantage habitués à recueillir des menaces que des louanges. Bon, ils n’ont pas encore lu cette saga en douze épisodes. Qu’écrire? On se réfugie dans l’ultra-banal: «Chère Suzy, Cher Werner, merci de votre intérêt pour Heidi. news. Je vous souhaite bien du plaisir… papati et patata.» Werner est taquin. Il relève que l’éditeur de Tamedia déclare volontiers que le journalisme consiste à publier quelque chose que quelqu’un ne voudrait pas que l’on publie. Werner: «Dans 20 Minutes, il y a tous les jours quelque chose que je ne veux pas lire!»

© Julien Pralong/Le Temps
© Julien Pralong/Le Temps

■ Julien Pralong, Morges, 14h37

Après très exactement 133,6 kilomètres parcourus depuis mercredi, la bécane est mise en lieu sûr à Morges, au camping du TCS, parrain de ce tour à vélo. D’ailleurs, une jeune violoniste joue l’air du Parrain sur la Grand-Rue.

Même si Mario Puzzo ne figure pas sur la liste des invités de l’édition 2021, direction Le Livre sur les quais pour y retrouver de bonnes connaissances, sur le stand de Heidi. news. Avant de rentrer au bercail et de voir mon prêt (sans option d’achat) au Temps prendre fin.

■ Julien Pralong, Vufflens-la-Ville, 8h17

© Julien Pralong/ Le Temps
© Julien Pralong/ Le Temps

Petit-déjeuner en équipe ce matin. Car oui, une lectrice assidue du Temps nous a accueillis tous les trois jeudi soir. Après un curry vert qui restera dans les annales, Marc et Serge se sont même offert un plongeon dans la piscine juste avant minuit (des photos existent, merci de me contacter). Nous allons bientôt prendre la direction de Morges et du Livre sur les quais, avec animation de débats et séance de dédicace au menu pour mes deux prestigieux coéquipiers.

Jeudi 2 septembre

■ Marc Guéniat, Saint-Prex, 15h53

Arrivée sans encombre, punktlich, à Rolle, bourgade qui a récemment fait la une du Temps en raison du piratage des données municipales, et donc de ses habitants. Malgré tout, le calme règne. Un ado pianotant son téléphone nous recommande la route du lac, plus jolie, selon lui, que celle du vignoble. Mais bien vite, le doute s’installe. La route est étroite, la voie dédiée aux voitures mesure à peine plus de deux mètres et nombreuses sont celles qui empiètent sur la bande cyclable. Les géomètres du canton se seraient-ils trompés dans leurs calculs? A moins que les vergers jouxtant la route n’aient stoppé la prolifération du bitume? Bref, chacun aura compris que ce carnet de bord pose plus de questions qu’il n’apporte de réponse.

L’ado n’avait finalement pas tort. Inaccessible aux bolides, un chemin sur la droite longe le lac. On parvient ainsi à Allaman, un de ces villages qu’on peut certes considérer avec condescendance depuis le train, beaucoup moins lorsqu’on prend la peine de s’y arrêter. Une pêcherie, une jolie plage presque déserte, et six personnes qui, en ce jeudi après-midi, lézardent dans le parc d’une bicoque donnant sur le Léman – pas plus de douze pièces à vue d’œil. Elles ont sûrement mérité ce repos du corps et de l’esprit.

L’indolence gagne du terrain. Et c’est sans trop se fatiguer que la route nous emmène à Saint-Prex, qu’on aurait tort d’ignorer. La tour de l’Horloge, bâtie en 1234, revendique cette devise: «Laissons dire et faisons bien.» Dont acte. On prolonge dans les rues médiévales en direction du lac jusqu’à la rue Perdtemps. Tout près de là, un sexagénaire écoute une suite pour violoncelle de Bach en contemplant le lac et les contreforts du Chablais français. On voudrait s’installer à ses côtés en silence. Hélas, nous travaillons, nous.

■ Marc Guéniat, Rolle, 14h20

On anticipe les quolibets. Il a pris le train. De la triche. Non, ce n’est pas de la paresse, mais une précaution. Par rapport à l’antique petite reine, basée sur la traction humaine, l’immense valeur ajoutée du vélo électrique réside dans l’excuse qu’il fournit clé en main: l’autonomie de la batterie ne permet pas de relier Genève à Vufflens-la-Ville d’une traite, sans risquer la panne. Mieux vaut donc prendre le train jusqu’à Rolle et pédaler – enfin, c’est une façon flatteuse de voir les choses – sur le tronçon restant. Et puis, à bord d’un RegioExpress, on peut occuper utilement son temps. En s’informant par exemple.

Le Canard enchaîné nous apprend qu’Emmanuel Macron, en visite à Marseille, est «l’OM de la situation». Facile mais plaisant. Moins dévastateur que la pique dirigée en son temps contre François Hollande, à l’occasion de la réforme du circonflexe prônée par la vénérable Académie française: «Pas de chance, l’accent va rester sur le chômage». N’était la frontière, décidément une obsession durant ce périple, la maire de Paris, Anne Hidalgo, serait éligible pour obtenir le très vaudois Prix Champignac: «Nous sommes à la croisée des chemins au pied du mur.» Un peu comme nous au fond, arpentant la Suisse et contraint d’alimenter régulièrement le site web d’observations recueillies en route.

■ Julien Pralong, Tolochenaz, 12h

Dans le texte qui a ouvert ce tour à vélo, Serge a fait l’éloge de l’itinéraire, un sujet que la rédaction avait d’ailleurs refusé à ce filou en d’autres circonstances (car oui, on a le droit de dire non au chef). Le mien d’itinéraire, aujourd’hui, m’a conduit par hasard à une terrasse de Tolochenaz (enfin, de «Tolo», j’essaie de m’intégrer aux très accueillants habitués), pour y manger une paella. Improbable phrase que je viens d’écrire ici…

© Julien Pralong/Le Temps
© Julien Pralong/Le Temps

Sur la place du village, le buste de la gloire locale, Audrey Hepburn. Devant lequel défilaient «des hordes d’Asiatiques» dans le monde d’avant, celui du voyage qui n’était pas empêché. Les touristes ont évidemment déserté depuis, mais, ici, on veut croire qu’ils reviendront. Peut-être en groupes plus petits, en tout cas plus en grappes comme avant. Du moment que ça n’est pas en cluster.

■ Marc Guéniat, Genève, 18h30-9h30

L’idée paraissait bonne. Profiter d’être le régional de l’étape pour dormir dans son lit. Après tout, il n’est nul besoin d’aller, comme Nicolas Bouvier, mourir à petit feu, seul dans une chambre d’hôtel miteuse, dans un coin perdu du globe pour vivre des sensations fortes. Cette solution présente en outre le mérite de soulager les finances du Temps. Cependant, l’option comporte quelques désagréments, insuffisamment pris en compte durant la préparation.

Car séjourner à la maison requiert non seulement de l’imagination pour alimenter ce carnet de bord, mais aussi de changer les couches, nourrir et doucher les enfants, les conduire respectivement à la crèche et à l’école, puis, rongé par la culpabilité de découcher en terres vaudoises lors de la seconde nuit de cette étape, faire des courses rapides afin qu’un repas facilement préparé soit disponible. Tant qu’on y est, déposer le tri à la déchetterie et accueillir la nouvelle femme de ménage, la précédente ayant démissionné pour s’occuper – elle aussi – de son enfant. La carte de ce périple dessine un sacré va-et-vient autour d’un carrefour de la Rive droite, chacun de ses points cardinaux ayant été dûment exploré – il est faux de penser que le quotidien est monotone.

En route pour Morges.

■ Serge Michel, Thônex, 8h37

Impossible de dormir à Thônex, que certains considèrent pourtant comme une cité-dortoir… Aucun hôtel n’est enregistré dans cette commune de plus de 14 000 habitants. Il faut donc traverser la frontière et là, à Gaillard, le choix est large. Le mien s’est arrêté sur le Geneva Residence, littéralement 50 mètres derrière la douane grande ouverte de Moillesulaz. «Votre studio est notre modèle pour la pub, mais le monsieur d’avant a fait un trou dans la porte de la chambre, s’excuse le réceptionniste. On a bouché avec du plâtre, c’est peut-être pas complètement sec». Malgré le trou, le petit studio-cuisine aurait bénéficié d’être aéré, le monsieur d’avant ayant aussi laissé une odeur de nouilles asiatiques.

© Serge Michel/Le Temps
© Serge Michel/Le Temps

Pas de hall ni de salle de petit-déjeuner depuis le Covid, il ne reste que l’ascenseur pour croiser les autres occupants. Un Africain anglophone qui revient de Genève sur une trottinette électrique, deux Bulgares musclés portant une demi-douzaine de grands sacs de matériel électronique acheté en Suisse. A chaque étage, sa décoration: le 4e est orné d’affiches sur le ballet et l’opéra, le 5e exhorte au voyage avec des destinations américaines et espagnoles, le 6e est plus zen: des pontons marins dans la brume.

Une sérénité qu’a troublée durant la nuit une troupe de pigeons à la nationalité indéterminée: on entend leur piétinement et leurs roucoulements sur le toit, qui semble mal isolé. Au matin, le réceptionniste propose de prolonger le séjour: la nuit à 70 euros passe à 46 si l’on reste un mois. «On a même des clients à l’année», dit-il enjoué en montrant les cases où ceux-là se font adresser leur courrier. Merci mais il faut repartir de l’autre côté de la frontière – c’est un tour de Suisse, pas de la France voisine!

■ Julien Pralong, Nyon, 8h13

Il est l’heure de boire un café. Sous la caresse du soleil naissant, sur les quais de Nyon, j’en profite pour lire (enfin) ce que mes coéquipiers ont écrit la veille. Telle est ma première résolution: aujourd’hui pas de «Ouais, non, désolé, j’ai pas eu le temps de te lire», rengaine si courante dans une rédaction, qui tienne!

■ Julien Pralong, Céligny, 7h40

Habitations, bureaux, centres d’affaires, complexes hôteliers ou centres sportifs et de loisirs: le littoral de Genève à Morges connaît un développement constant. Toute la Côte, vraiment? Non, il demeure, perché sur sa colline, un lieu semble-t-il épargné (ou allergique, c’est selon), par ce mouvement. Céligny, enclave genevoise irréductible, avec sa gare qui ne voit que passer les trains, y compris ceux du Léman Express, sans que ceux-ci ne s’y arrêtent jamais.

© Julien Pralong/Le Temps
© Julien Pralong/Le Temps

Même la commune voisine a voulu s’en détacher et s’appelle désormais Crans, s’étant affranchie du complément «sur-Céligny». Ce qui ne perturbe visiblement en rien l’aisée population célignote. Que je soupçonne d’aimer vivre cachée. Ou tout du moins dans la discrétion.

■ Julien Pralong, Le Reposoir, 7h

Il est temps de pousser la machine plus loin. Le long de ce Léman suspendu à l’aurore, les reliefs alpins ciselés en arrière-plan. De nombreuses rencontres sont au programme de ce jeudi. Elles attendront toutefois, la première escale sera d’un autre ordre. Je me dirige d’abord là où le temps semble s’être arrêté.

Mercredi 1er septembre

■ Julien Pralong, Lully, 16h

La première surprise de l’étape… Prendre rendez-vous avec un ancien syndic pour un papier à venir, constater qu’on a probablement choisi l’une des seules communes vaudoises dépourvues d’un café du village, et entendre un·e élu·e honteusement anonyme (l’épicène est du pain bénit pour que le journaliste brouille les pistes et protège ses «sources») vous répondre: «Il faut prendre un thermos!» De rage, et sur ordre du chef Serge, je file «chez Mermoud», vigneron à Lully, dans la campagne genevoise.

■ Julien Pralong, à travers le canton de Genève, 14h

On dit de Genève qu’il est figé et réfractaire au développement, en témoigne la pénurie de logements qui le caractérise. De nouveaux quartiers, souvent imposants, sont pourtant sortis de terre depuis 1998, et arpenter les routes du canton permet d’en prendre conscience. Des Cherpines de Plan-les-Ouates aux Vergers de Meyrin, en passant par le Pont-Rouge et sa gare Léman Express ou le quartier de l’Etang (encore en construction) à Vernier, voyage d’un «monstre» à l’autre.

© Julien Pralong/Le Temps
© Julien Pralong/Le Temps

© Julien Pralong/Le Temps
© Julien Pralong/Le Temps

© Julien Pralong/Le Temps
© Julien Pralong/Le Temps

■ Serge Michel, Genève, parc des Bastions, 12h

Le soleil a fini par percer et baigne les discours officiels devant le mur des Réformateurs, au parc des Bastions: c’est le 125e anniversaire du Touring Club Suisse, fondé à Genève le 1er septembre 1896 par 205 cyclistes (ils voulaient de meilleures routes et la garantie de pouvoir passer les douanes sans trop d’ennuis). Ce club, une des rares organisations suisses toujours basées à Genève, voit le jour quelques années après l’invention en 1887 de la chambre à air par l’Ecossais John Boyd Dunlop, dont le succès immédiat allait transformer les vélos en bolides, comme le rappelle l’avocat François Membrez, président de la section genevoise du TCS.

Notre revue de presse historique: #LeTempsAVélo, un tour de Suisse pour remonter aux sources vélocipédiques du TCS

Ces bolides créent et subissent, à l’époque, de nombreux accidents: il faut établir des règles, créer les premières pistes cyclables, esquisser les principes de la sécurité routière. Cent vingt-cinq ans plus tard, le débat est étrangement similaire: les vélos électriques roulant à 45 km/h sont aussi des bolides, les règles sont floues (sont-ils encore des vélos ou doivent-ils être considérés comme des véhicules motorisés? Ont-ils droit aux pistes cyclables?) et les accidents se multiplient.

© Eddy Mottaz/Le Temps
© Eddy Mottaz/Le Temps

Le TCS, qui soutient notre aventure cycliste et journalistique du Temps à vélo, s’est fixé pour objectif de faire baisser le nombre de morts sur la route en Suisse à moins de 100 par année (ils étaient 2000 dans les années 1970). Après les photos officielles, nous nous élançons des Bastions pour un deuxième départ et nous serons prudents: pas question de faire grimper les statistiques des accidents avec nos bolides à pédales!

■ Marc Guéniat, Bardonnex, 10h

A la sortie du village de Bardonnex vit et travaille Stéphane Pataracchia, maréchal-ferrant depuis 1987. Impossible de s’y tromper: depuis la route de Foliaz menant à Charrot, on aperçoit sa jument d’origine bretonne, Almina, sa Land Rover beige servant d’atelier itinérant et, bien sûr, une forge, une enclume, des marteaux. Des outils d’un autre temps que seule une passion à la fois équestre et artisane perpétue face à la concurrence et à la mode. «C’est sûr que si on promène son cheval une fois par semaine, la clope dans une main et le téléphone dans l’autre, pas besoin de le ferrer», maugrée-t-il.

Avec Almina, lui a récemment parcouru en dix jours les quelque 500 kilomètres qui, à vol d’oiseau, séparent Genève de Grasse, près de Cannes, en empruntant la route Napoléon. Le résultat, ce sont des fers amputés de la moitié de leur épaisseur. La faute, notamment, à ce satané calcaire dans les gorges du Verdon.

Les anecdotes, littéraires ou historiques, fusent pendant qu’il rechausse sa jument. Prenons la bataille de Gergovie, qui opposa Jules César à Vercingétorix, et examinons-la sous l’angle équestre. La suprématie de la cavalerie gauloise provient de l’avantage technologique que conférait l’usage des fers placés sous les sabots des chevaux.

■ Serge Michel, Bardonnex, 8h30

Quand, sous les premières brumes de l’automne, fixées d’un côté au Salève et de l’autre au Jura, on avale un café et les délicieux croissants du café La Comète de Bardonnex, première étape de ce tour de Suisse à vélo, on se demande pourquoi diable les journalistes de la rédaction se sont d’abord inscrits aux étapes plus exotiques du Tessin, des Grisons ou du lac des Quatre-Cantons! Car la vie est ici, dans cette campagne genevoise paisible où se croisent harmonieusement de jolis tracteurs, des SUV conduisant des enfants dans les écoles privées du canton et… des dizaines de vélos électriques.

© Julien Pralong/Le Temps
© Julien Pralong/Le Temps

Sur la terrasse, trois habitués évoquent un scandale. «Tout le gratin genevois est mouillé», croit savoir l’un d’eux. Le passage bruyant d’un camion polonais nous empêche hélas de saisir de quel scandale il s’agit. Une fois le calme revenu, la conversation, peu élégante, a tourné. Il est question d’une «chaudasse blonde» qui travaille à l’hôpital et qui, selon l’un des convives, «aurait même un gamin». Le plus âgé se lève, mettant fin aux commérages: «Allez, on va nourrir les poules», lâche-t-il.

Pour notre part, il faut nourrir ce carnet de route. Marc s’en va chez le maréchal-ferrant, Julien part à la cueillette des champignons urbains et Serge prend la direction du parc des Bastions, en passant par Charrot, le village voisin et qui compte une centaine d’âmes dont quatre maraîchers.

© Serge Michel/Le Temps
© Serge Michel/Le Temps

Là, une habitante issue d’une ancienne famille paysanne explique le grand défi: garder une vie de village équilibrée avec les nouveaux habitants. «Il y en a qu’on verra jamais, qui sont là pour des missions temporaires, dit-elle. Mais sinon, ça fonctionne plutôt mieux chez nous qu’à Landecy ou Bardonnex!»

Lire aussi: A Bardonnex, des villages sans frontière

A la clé de cette intégration des «nouveaux», un apéritif chaque mois devant la fontaine du village, lancé par une fille de Charrot, Irène Rosselli, ou l’engagement au sein des associations comme La P’tite Bouffe pour les repas des enfants, ou encore la décoration collective de l’arbre de Noël chaque début décembre, ainsi que de nombreuses autres initiatives. Sans compter une spécificité de Charrot: plusieurs enfants du village sont revenus s’y installer une fois adultes et y élèvent désormais leurs enfants. Ils y ont trouvé de la place grâce au déclassement des hangars agricoles, un âpre combat des familles du village après le remaniement parcellaire des années 1970. C’était le dernier déclassement possible: «Désormais, plus rien ne bougera», conclut notre habitante.