L’étude qui élucide la maladie du Doubs
nature
Les pouvoirs publics se sont mis au chevet du fleuve. Les causes de la dégradation sont établies et hiérarchisées. Les barrages sont pointés du doigt. Un plan d’action est en gestation
Considéré comme «un écosystème particulièrement remarquable par la richesse de sa biodiversité et la beauté des paysages», selon la conseillère fédérale Doris Leuthard, le Doubs est pourtant malade. Sa couleur verdâtre provoquée par les algues intrigue, des poissons meurent. Après la sonnette d’alarme tirée au printemps 2011, un diagnostic confirme les dysfonctionnements et les sources de pollution.
Un vaste rapport de l’Etablissement public territorial du bassin Saône et Doubs (EPTB), que Le Temps s’est procuré, met sur la table toutes les données afin de comprendre pourquoi le Doubs se meurt. Il fait, en 170 pages, la synthèse des multiples études et relevés effectués en Suisse et en France, le Doubs traçant la frontière sur 43 kilomètres, avant d’effectuer une boucle de 29 kilomètres dans le Jura.
Même si elle met en évidence le manque de données systématiques, l’étude confirme que les causes des maux du Doubs sont multiples et diverses, «et susceptibles de se combiner entre elles». Elle souligne que «les trois grands barrages hydroélectriques du Châtelot, du Refrain et de la Goule ont considérablement modifié le fonctionnement global des écosystèmes aquatiques […] Leurs aménagements constituent la cause principale des perturbations du fonctionnement physique du cours d’eau.»
Les barrages ne sont pas seuls responsables. Même si la qualité de l’eau est globalement bonne, elle est souillée par des micropolluants que les stations d’épuration ne parviennent pas à retenir. Les stations, souvent vieillissantes, parfois absentes comme à Goumois, ou individuelles et peu contrôlées, sont montrées du doigt. Le «rendement», fixé légalement à 90%, est certes atteint, mais les 10% restants posent problème pour la rivière.
Souvent accusée de nuire au cours d’eau, l’agriculture est en bonne partie épargnée par l’étude. Elle ne jouerait qu’un rôle secondaire dans la dégradation du Doubs. A l’inverse des «seuils». Sur ses 75 kilomètres franco-suisses, le Doubs compte quinze obstacles d’au moins 50 centimètres. Certains restent franchissables par les poissons, mais neuf empêchent la migration. Le programme estime prioritaires des aménagements sur trois sites. Sont également fortement recommandés, des travaux, pas forcément onéreux, pour améliorer la morphologie des petits affluents, incapables de jouer leur rôle de zone de refuge pour les espèces piscicoles et les invertébrés.
Cette étude a été présentée mardi à une soixantaine d’élus communaux, français et suisses, ainsi qu’aux associations membres du parc naturel régional franco-suisse du Doubs, à Maîche. «L’accueil a été positif, le débat intéressant», relève Gérard Cattin, secrétaire général du parc du Doubs. Quelques voix discordantes tout de même, dont celle de Pro Natura. «Ce rapport est plutôt succinct», regrette Lucienne Merguin Rossé. Elle note que le projet de plan sectoriel du canton du Jura formule un diagnostic plus élaboré.
«Le plus intéressant, reprend Gérard Cattin, c’est qu’on passe du constat à l’action.» Un groupe de travail binational «pour l’amélioration de la qualité des eaux et des milieux aquatiques du Doubs franco-suisse», comprenant 35 personnes, dont 13 suisses (avec 3 représentants de l’Office fédéral de l’environnement, des représentants d’autres offices fédéraux, 3 du canton de Neuchâtel et 3 du canton du Jura) et 22 des instances françaises, du représentant du préfet à la directrice départementale des territoires à Besançon. Le groupe est présidé par Willy Geiger, sous-directeur de l’OFEV.
Lors de sa deuxième séance, le 18 janvier à Neuchâtel, il a produit un document qui engage les Etats, suisse et français, à adopter et mettre en œuvre un train de mesures. Les exploitants des barrages sont appelés à adapter leurs pratiques, pour contenir les lâchers d’eau dévastateurs et garantir un débit minimal, qui devrait passer de 0,25 à 2 mètres cubes par seconde pour le Châtelot notamment. De nouveaux essais de démodulation, consistant à mieux coordonner les éclusées, seront effectués au printemps prochain.
Autre mesure envisagée: augmenter l’exigence de rendement des stations d’épuration et faire mieux que les 90% actuels. Pour retenir les micropolluants. La mesure passe par une modification légale. «On peut nourrir un certain optimisme, commente Gérard Cattin. Certaines associations de pêcheurs constatent qu’il y a enfin du concret.» Pas question toutefois de crier victoire. «Les effets» souhaités et attendus par le vice-président du parc du Doubs, l’ancien conseiller d’Etat neuchâtelois Bernard Soguel, prendront du temps. Ils ne seront pas mesurables avant une décennie.