L’ex-ministre grec, son cousin et les 30 millions de francs
Affaire Toutes les étapes du transfert de fonds illégaux provenant de Grèce sont décortiquées par le vice-procureur de la Confédération
Lundi matin, 8 heures, trois représentants du parquet suisse prennent place dans un bureau d’Evelpidon, le tribunal d’instance d’Athènes. Une heure plus tard, Nikos Zigras, leur premier témoin, entre dans la salle. Cet homme, la soixantaine, atteint d’une leucémie, est le cousin d’Akis Tsohatzopoulos, ancien ministre grec de la Défense de 1996 à 2001. Tous deux ont été inculpés en 2012 pour corruption et blanchiment d’argent, dans une affaire de pots-de-vin sur des contrats d’armement entre l’Allemagne et la Grèce.
Le ministre, condamné à vingt ans de prison ferme, sera entendu ce mardi par les procureurs suisses. Nikos Zigras, en liberté conditionnelle, a, lui, dû passer par plus de six heures d’interrogatoire. Et pour cause: Urs Koehli, vice-procureur de la Confédération, assisté d’un représentant de la police fédérale criminelle et d’une spécialiste des finances du Ministère public fédéral, arrivés dimanche soir dans la capitale grecque, est bien décidé à en découdre sur la manière dont l’argent est arrivé dans les banques suisses.
Une fortune grandissante
A en croire les sources judiciaires, tout a commencé en été 1999, quand Akis Tsohatzopoulos, alors ministre de la Défense du gouvernement socialiste en place depuis trois ans, et son cousin Nikos Zigras décident de régulariser la fortune grandissante du ministre. Les cousins s’adressent alors à des «gens de confiance». Nikos Zigras se met en relation avec la société Zorelia qui, en plus de transactions financières, rend des services à des hommes d’affaires, en transférant leurs capitaux vers l’étranger pour les convertir en argent propre à Athènes. Le rendez-vous est pris avec un banquier français de l’agence genevoise du Crédit Lyonnais.
Au même moment, le ministre demande conseil à un ami avocat pour créer une société offshore à Chypre, nommée Torkaso. Cet avocat met aussitôt en contact Zigras avec un jeune banquier gréco-allemand de 32 ans, conseiller en investissement chez Morgan Stanley à Zurich.
Nikos Zigras raconte la même histoire aux deux banquiers de Genève et Zurich, et affirme qu’il est négociant en bois et collabore avec un groupe saoudien intéressé par de grands investissements en Grèce.
Les banquiers, qui connaissent le lien de parenté directe entre Zigras et le ministre, ne vérifient pas ces informations et ouvrent des comptes. L’argent est alors transféré par valises, puis déposé sur les comptes. En 2006, le jeune banquier gréco-allemand reprend l’intégralité de la gestion des fonds, soit plus de 30 millions de francs. C’est sans doute pour cela que les procureurs suisses ont ciblé leurs questions sur lui.
«Rendre l’argent volé»
Pour Urs Koehli, l’audition a été intéressante. «Nous avons entamé une collaboration avec la justice hellénique en été 2012. Nous voulons savoir si des individus ou des sociétés en Suisse ont commis des actes illégaux. Je veux pouvoir assurer que la Suisse n’est pas un espace de blanchiment d’argent», a-t-il souligné au sortir de l’audition.
Pour sa part, Nikos Zigras réfute les 30 millions de francs et parle d’un compte de 2,5 millions. Il déclare que «l’Etat suisse doit rendre immédiatement à l’Etat grec l’argent volé, à commencer par celui qui est à mon nom». La procédure d’une telle requête n’est pas si simple dans le droit suisse. Elle sera sans doute au programme des discussions bilatérales entre la ministre des Finances, Eveline Widmer-Schlumpf, et son homologue grec, Yannis Stournaras, aujourd’hui à Athènes.