Michèle Künzler: La première semaine a été catastrophique, avec une série d’incidents invraisemblables. Le système a fonctionné correctement pendant les vacances, mais il reste en rodage: bien que partis à l’heure en bout de ligne, des trams s’agglutinent. Il y a un vrai problème de régulation que nous devons identifier. Concernant la hausse des cadences de bus et de trams, on peut se demander si nous n’avons pas été trop ambitieux. Mais c’était une demande unanime du Grand Conseil.
– Quelle part de responsabilité assumez-vous, comme magistrate, dans ces problèmes?
– Franchement, je crois que la conception générale du réseau est bonne. Il fallait le redessiner pour lui permettre de grandir, de se mettre à l’échelle de l’agglomération. Mais je n’ai pas choisi le tracé des rails de tram: j’assume les options de mes prédécesseurs. Mon but est de faire fonctionner ce système et on y parviendra.
De mon côté, je me suis battue pour montrer, grâce à des modélisations en trois dimensions, que des engorgements se formeraient jusqu’à la hauteur de Frontenex, si on n’endiguait pas le trafic en infraction à Bel-Air. Ces simulations ont aussi prouvé que, pour accueillir les flux de piétons, on devait refaire les arrêts à Plainpalais. Je regrette de ne pas avoir modélisé, faute de moyens, la situation à Rive, où nous rencontrons des difficultés. Je regrette aussi de ne pas disposer déjà d’une voie pour les bus sur le pont du Mont-Blanc. Mes prédécesseurs savaient depuis des années que c’était possible, mais ils ont jugé cette réalisation politiquement inopportune. Le TCS a fini par admettre cette idée, mais il m’a fallu discuter longuement. Enfin, il aurait peut-être été plus commode d’attendre le printemps pour lancer le nouveau réseau, plutôt que de s’aligner sur le changement européen qui a lieu en décembre, c’est-à-dire le pire moment.
– La réunion prévue lundi semble tardive. Qu’en attendez-vous?
– Nous ne sommes pas restés sans rien faire. Des points de situation ont eu lieu quotidiennement. Mais la période avant les Fêtes est anormalement chargée, celle qui les suit inhabituellement calme. Les deux prochaines semaines seront cruciales pour scruter le réseau en conditions normales. Lundi, on devra tenir compte de la colère de certains Genevois dont les habitudes ont été bousculées. Il faudra lister les mesures susceptibles d’apporter des améliorations immédiates. Les nouvelles machines de billetterie, quoique performantes, sont trop complexes pour les aînés et les enfants: il faut apporter une solution plus simple.
– Quelles sont les perspectives pour les transports publics à Genève?
– Le changement de réseau que nous venons d’opérer est un saut comme il s’en produit tous les dix ou vingt ans. C’est l’heure de vérité. Pour certains, il faudrait ne rien faire tant qu’on n’a pas une traversée lacustre. D’autres voudraient figer le réseau d’antan, sans admettre que l’agglomération frôle le million d’habitants. Moi, je veux améliorer les choses maintenant. Je suis ainsi favorable à un nouveau parking à Rive, afin de piétonniser ce quartier. Il est absurde de continuer à y accueillir quelques milliers de voitures, gênantes pour les importants flux de piétons et de transports publics.
– Les députés ont exigé que, en cas d’échec, la simplification du réseau de tram soit réversible. Or cela est impossible selon les TPG…
– Cette réversibilité est possible, moyennant quelques aménagements, mais elle impliquerait de réduire drastiquement les cadences. Pour éviter qu’un problème ne se répercute sur tout le réseau, la séparation des lignes est nécessaire, si l’on veut continuer à les étendre vers la France voisine, comme cela est prévu. A l’horizon 2025, on peut imaginer un nouveau tram reliant Vernier à Vésenaz, via le pont du Mont-Blanc, qu’il faudrait alors rénover.
– Les espaces publics liés au nouveau tram sont ratés. Votre avis?
– Il y a eu à Genève toute une école qui fait l’éloge de la banalité, de la simplicité à outrance. Héritiers des fonctionnalistes, ils ne pensent même plus à l’aspect utilitaire des choses et veulent éviter à tout prix le décoratif ou tout élément végétal. Des lieux déshumanisés en résultent. Autre problème: à Genève, on n’a pas d’approche cohérente, issue d’une seule collectivité. Par exemple, chaque commune conçoit ses abribus. De façon plus générale, on peine à coordonner les services de l’Etat. J’ai par exemple dû insister pour que la police soit prévenue en amont des chantiers afin de régler la circulation.