Lignes en dérangement: gestion d’urgence
Transports
Que se passe-t-il lorsque le Gothard ou la ligne Lausanne-Genève sont coupés? Les procédures peuvent être améliorées
Comment les CFF et leurs partenaires réagissent-ils lorsqu’une perturbation interrompt le trafic ferroviaire sur un axe aussi vital que le Gothard ou la ligne Lausanne-Genève? De quels moyens disposent-ils pour intervenir, détourner le trafic, gérer les passagers (et leur compréhensible irritation), rétablir la circulation le plus rapidement possible? Plongée dans le monde des situations d’urgence.
Gurtnellen, 5 juin 2012. A proximité de ce village uranais, un glissement de terrain obstrue la ligne du Gothard, provoque la mort d’un ouvrier alors que deux autres sont blessés. C’est la deuxième fois de l’année qu’un éboulement se produit à cet endroit, mais le premier, en mars, n’avait perturbé le trafic que durant quelques jours.
Ce 5 juin 2012, la voie qui relie le nord au sud de l’Europe restera fermée au trafic durant un mois. En novembre de la même année, une nouvelle chute de rochers se produira, paralysant la ligne pendant trois autres jours.
Comment gère-t-on une telle situation? Une journée d’information réunissant tous les acteurs du transport ferroviaire et des journalistes spécialisés a permis de comprendre l’énorme machinerie qui se met en place lorsqu’un tel incident se produit.
Chaque entreprise commence par réunir son état-major de crise et se met en contact avec les cantons et l’Office fédéral des transports (OFT). Les CFF sont les premiers concernés, car ce sont eux qui exploitent le trafic voyageurs sur la ligne du Gothard, où ils sont également un opérateur majeur pour le fret. Il leur incombe d’offrir à leur clientèle des voies de contournement. «Nous avons alors été confrontés à des difficultés supplémentaires, car les voies de substitution habituelles, soit l’axe Lötschberg-Simplon et le Brenner, étaient en chantier au moment où l’accident s’est produit à Gurtnellen», souligne Roland Pfaffen, chef de section à CFF Infrastructure. Malgré les travaux de réparation en cours à l’intérieur du tunnel du Simplon, cette ligne sera néanmoins en mesure d’absorber une bonne partie du trafic voyageurs nord-sud. «Une offre de remplacement a pu être faite pour environ 40% du trafic marchandises», détaille Roland Pfaffen.
En collaboration avec Sillon Suisse, l’organe d’attribution des créneaux horaires, et avec les transporteurs privés, les CFF ont établi un horaire de secours. La collaboration avec l’Italie s’est toutefois révélée complexe et il faudra attendre le 19 juin, soit quatorze jours, pour qu’un plan coordonné puisse être opérationnel. «La communication entre les gestionnaires de l’infrastructure et les opérateurs s’est révélée très astreignante et le transfert des ressources, soit les locomotives et les mécaniciens, a pris du temps», regrette Roland Pfaffen.
Alors que les CFF s’ingénient à proposer des solutions de secours aux voyageurs, les opérateurs du trafic marchandises se soucient de leur côté de livrer les biens que leur a confié leur clientèle. «Nous devons assurer la chaîne de livraison et être en mesure d’offrir des solutions dans les 24 à 48 heures qui suivent l’interruption», résume Dirk Stahl, directeur général de BLS Cargo, qui rappelle que l’interruption de la ligne du Gothard en juin 2012 a entraîné un recul des prestations de sa société de 22,5% sur cet axe.
«Après l’accident du 5 juin, les plans ne fonctionnaient plus, tout le monde était désorienté. Nous avons reçu des milliers d’appels de nos unités internes», se souvient Markus Zgraggen, responsable de la logistique de BLS Cargo. «Dans ce genre de situation, la question centrale pour nos clients est de savoir quand le train va arriver», complète Irmtraut Tonndorf, cheffe de la communication de la société de transport combiné Hupac.
Le dispositif de secours est régi par l’ordonnance sur l’accès au réseau, qui dit que, «en cas de perturbations de l’exploitation, le gestionnaire de l’infrastructure est habilité à donner des instructions aux utilisateurs du réseau. Ces derniers et le gestionnaire de l’infrastructure sont tenus de s’informer réciproquement et de se fournir mutuellement de l’aide en matière de personnel et de matériel, tant pour remédier aux perturbations que pour maintenir les transports publics.» «Sillon Suisse n’intervient activement que si la perturbation dépasse une semaine», précise son directeur, Thomas Isenmann.
Dans le cas de Gurtnellen, cette collaboration a-t-elle fonctionné comme elle le doit? Les réponses à cette question sont assez diverses. Globalement, la mise à disposition de capacités libres sur l’axe du Lötschberg-Simplon a permis de décrisper la situation. Roland Pfaffen signale cependant, sans citer quiconque, que «le respect des règles du jeu, comme la libération de sillons non utilisés par les entreprises de transport ferroviaire, n’a pas toujours fonctionné». Il constate par ailleurs que les différents intervenants ont «des conceptions différentes de la gestion des dérangements» et que «la concurrence réduit les capacités et limite la collaboration entre les entreprises de transport». «Il faut des procédures unifiées en cas d’interruption», acquiesce Irmtraut Tonndorf.
Tout le monde s’accorde sur un point: lorsqu’un pépin se produit sur l’axe nord-sud, la rapidité de réaction du côté italien reste problématique. Si le Gothard est fermé, il faudrait rapidement modifier les grilles horaires et augmenter les capacités de trafic, de stationnement et de dédouanement en gare de Domodossola. Dans les faits, c’est compliqué.
Sur le plan suisse, les éboulements à répétition de Gurtnellen incitent les acteurs à revendiquer toute une série d’améliorations. Pour Thomas Isenmann, il est primordial de convaincre, voire de contraindre, les opérateurs à mettre à disposition les sillons qui leur ont été attribués sur les itinéraires de délestage mais n’ont pas été utilisés.
C’est aussi l’avis de Roland Pfaffen. Directeur de la société de ferroutage RAlpin, René Dancet souhaite que les directives de l’OFT fixent aussi des règles pour le trafic qui ne peut pas être détourné vers un itinéraire de substitution. Une meilleure coordination internationale est un autre point à améliorer.
Lorsqu’un pépin se produit sur l’axe nord-sud, la rapidité de réaction du côté italien reste problématique