L’immense culpabilité d’Alieu Kosiah, chef de guerre cruel
Justice
Le Tribunal pénal fédéral retient quasiment toutes les accusations gravissimes qui pesaient sur le prévenu libérien. Il est condamné à 20 ans de prison pour avoir, notamment, ordonné ou commis lui-même 19 meurtres. Un appel est d’ores et déjà annoncé par la défense

Consciente du caractère historique de sa décision, la Cour des affaires pénales a pris son temps et pesé chacun de ses mots. Trois heures durant, le président Jean-Luc Bacher a détaillé toutes les bonnes raisons de reconnaître l’ex-chef rebelle libérien Alieu Kosiah, 46 ans, coupable d’une longue liste de violations des lois de la guerre et de lui infliger 20 ans de prison, soit la peine maximale prévue par le droit qui s’applique à ces faits très anciens. Une sanction qui s’impose comme une évidence, souligne la décision, tant les horreurs commises ont été nombreuses, inexcusables et jamais reconnues, ni regrettées par le principal intéressé.
Lire notre éditorial: Crimes de guerre, le verdict qui doit insuffler une nouvelle dynamique
Intime conviction
Ce verdict, le premier rendu par le Tribunal pénal fédéral désormais compétent en matière de crimes de guerre, était particulièrement scruté. Et l’attente — trois mois et demi se sont écoulés depuis la fin des débats — a été longue. La cour a d’ailleurs commencé sa lecture en relevant le caractère «très atypique» de cette cause qui concerne des évènements passés et très éloignés géographiquement. La plongée dans le premier conflit civil libérien (1989-1996) a visiblement secoué les juges. Ils évoquent «un monde qui a cessé d’être civilisé», «un enfer avec des supplices arbitraires et forcément injustes», «la débauche de brutalité et de cruauté qui s’est abattue sur ce pays», «l’humain dans ses aspects les plus obscurs et les plus inquiétants».
Dans ce contexte qualifié de «hautement criminogène», Alieu Kosiah, dont la fonction importante au sein d’un des bataillons de l’Ulimo est retenue, «était maître de ses actes et de ses ordres». A défaut de preuves matérielles, les juges ont analysé la crédibilité des témoignages pour se forger une intime conviction. Même si le récit des plaignants comporte parfois certaines imprécisions, «rien ne permet de conclure à l’invention de faits ou à la volonté d’induire la justice en erreur». A l’inverse, les propos du prévenu, qui niait avoir été sur place à l’époque des crimes et évoquait une vaste conspiration, sont qualifiés de peu consistants. En clair, la cour «n’a pas de doute quant à la réalité de la quasi-totalité des comportements reprochés». Seuls quatre points de l’acte d’accusation sont écartés, mais pour d’autres raisons.
«Suffisance et arrogance»
En substance, Alieu Kosiah est donc reconnu coupable d’avoir utilisé un enfant soldat âgé de 12 ans, tué de ses propres mains quatre civils, donné l’ordre de tuer treize civils et deux soldats capturés, violé à plusieurs reprises une villageoise, infligé des traitements dégradants et cruels aux habitants du district du Lofa lors de transports forcés, pillé un village. Il est aussi reconnu coupable d’avoir profané un cadavre en participant à un terrible festin où le cœur d’un enseignant de l’Eglise pentecôtiste libre, dont la poitrine avait été ouverte à la hache par un dénommé Ugly Boy, a été servi cru aux leaders du groupe. «Il a mangé un morceau du cœur de la dépouille.»
Pour fixer la peine, les juges ont relevé la très grande gravité des actes. Alieu Kosiah n’était certainement pas le seul chef rebelle à se rendre coupable de telles atrocités, «mais cela ne constitue en rien une justification». La cour ne retient aucune circonstance atténuante, et notamment pas celle du temps long écoulé lors duquel le prévenu s’est bien comporté. «Il n’a fait montre d’aucune prise de conscience et continue de se draper dans sa suffisance et son arrogance.»
Soif de justice
A l’inverse, la décision souligne les plaies demeurées vives du côté des sept plaignants, leur soif de justice et les risques qu’ils ont pris en témoignant contre leur bourreau. «Du point de vue des victimes, l’effet guérisseur du temps reste très insuffisant pour permettre de restaurer une certaine sérénité.» Dans ce contexte, la cour estime qu’une condamnation sévère qui atteste de la gravité des faits reste d’une grande utilité afin de rappeler les valeurs fondamentales de l’humanité et rétablir un ordre qui a tant souffert de cette violence poussée à son paroxysme.
Des mots qui résonneront jusqu’au Liberia. «La reconnaissance de cette souffrance et des risques encourus par nos clients sont des éléments qui comptent beaucoup pour nous», a réagi Me Raphaël Jakob, qui représente les victimes aux côtés de Mes Alain Werner (de Civitas Maxima), Romain Wavre, Zeina Wakim et Hikmat Maleh. Le prévenu est également condamné à verser un tort moral (des sommes allant de 6600 à 8000 francs) aux parties plaignantes.
Défendu par Me Dimitri Gianoli, Alieu Kosiah, venu trouver refuge en Suisse il y a plus de deux décennies, a passablement secoué la tête en guise de réprobation lors de la lecture de ce (long) résumé qui fait de lui un criminel de guerre particulièrement cruel. Condamné à 20 ans de prison (sous déduction de 2413 jours de détention provisoire) ainsi qu’à une expulsion d’une durée de quinze ans, il fera appel. D’ici là, les juges ont décidé de le maintenir sous les verrous en raison d’un risque de fuite devenu encore plus concret avec ce verdict.