Tant qu’il n’y aura pas d’obligation de signaler à la police chaque arme détenue dans une maison et celles qui sont achetées, échangées ou héritées, la Suisse sera impuissante à prévenir des drames comme celui de Daillon (VS). «C’est pourquoi nous avons besoin de savoir qui détient quoi», insiste le commandant d’une police cantonale romande. Puisque le propriétaire du moindre cyclomoteur peut être retrouvé grâce aux registres informatisés, pourquoi n’en irait-il pas de même avec des armes?
C’est à cette obligation que s’oppose avec succès depuis des décennies le lobby suisse des armes, Pro Tell. Très présente dans les sociétés militaires et celles de tireurs, cette association a de puissants relais jusqu’à la tête de l’armée. Pro Tell est en effet membre du comité consultatif «pour le développement de l’armée» mis sur pied par le chef de l’armée André Blattmann. Le président de Pro Tell, Willy Pfund, vient de recommander à ses amis américains du National Riffle Association (NRA), après le drame de Newtown, de défendre le droit de chaque Américain à posséder une arme.
En refusant l’initiative de la gauche «pour une protection contre la violence des armes», en février 2011, le peuple a aussi enterré le projet de registre central des armes à feu. Willy Pfund prévient d’emblée: «Chasseurs, collectionneurs, tireurs et autres possesseurs d’armes constituent une force que personne ne peut ignorer et contourner dans ce pays.»
En 2009, ce registre central avait failli être adopté par le parlement, malgré l’opposition d’Eveline Widmer-Schlumpf. Le Conseil national avait en effet accepté une motion du Vert zougois Josef Lang. Mais au Conseil des Etats, le PDC valaisan Jean-René Fournier avait convaincu une large majorité de refuser ce projet, estimant suffisants les registres cantonaux des armes. Une proposition de Claude Hêche (PS/JU) pour un système d’information électronique, en marge de l’adaptation aux normes de Schengen, avait aussi été repoussée, «en raison des coûts».
Cantons responsables
Echaudée par la puissance de Pro Tell, la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga préfère laisser le soin aux cantons de connecter entre eux leurs propres systèmes d’informations sur les possesseurs d’armes. Un système très lâche, puisque généralement n’y figurent que les acheteurs d’armes neuves auprès des armuriers et, rarement, ceux qui passent par les bourses officielles.
Malgré les belles assurances de la présidente de la Commission de politique de sécurité, la socialiste zurichoise Chantal Galladé, cette interconnexion des registres cantonaux n’est pas pour demain. En deux ans, rien n’a encore été mis sur pied, «faute de base légale». Les connaisseurs du dossier y voient un signe du manque de volonté politique des directeurs cantonaux.
Certes, la Commission de politique de sécurité du Conseil national devra débattre lundi de cinq motions, notamment pour concrétiser l’obligation faite aux autorités civiles et militaires de s’informer sur les cas de personnes à risques et pour améliorer les échanges d’informations entre Confédération et cantons. Mais on est encore très loin de l’adoption d’une base légale.
De plus, les députés n’ont pas encore franchi le pas qui consisterait à contraindre les possesseurs d’armes, même anciennes, de s’annoncer. Quant à déclarer «illégales» les armes qui ne seraient pas déclarées… Seule avancée depuis juillet de cette année, toutes les armes importées devront être marquées spécialement pour permettre un traçage dans le futur.