Ce lundi, ces différences ne se sont quasiment pas ressenties. «Nous avons chacune un sac à dos bien rempli», déclare Evi Allemann. Une expression très alémanique pour traduire l’expérience politique des candidates. La Bâloise et la Jurassienne ont siégé plus de dix ans dans un exécutif cantonal avant d’arriver toutes deux au Conseil des Etats. Pour la Bernoise, c’est exactement le contraire. Elle est la benjamine du Conseil national lorsqu’elle y est élue en 2003, avant de devenir conseillère d’Etat et directrice de la justice.
Si la Bâloise est favorite, c’est parce qu’elle est la seule à avoir été déjà candidate au Conseil fédéral en 2010 et justement parce qu’une assemblée fédérale de centre droit avait apprécié son indépendance d’esprit sur la RIE III. Mais à Lucerne, on a juste brièvement parlé de fiscalité à propos de la réforme de l’OCDE qui veut imposer toutes les multinationales à un taux de 15%. Une réforme qu’elle approuve à 100% tant elle juge la concurrence fiscale entre pays «néfaste».
Dans ce premier débat qui se déroulait en dialecte alémanique, c’est la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider qui avait le plus à perdre, elle qui était handicapée par la langue. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a tiré son épingle du jeu. Elle est même plus à l’aise en allemand que ses camarades et néanmoins rivales ne le sont en français. «J’étais très stressée», a-t-elle avoué au terme du débat. A vrai dire, le public ne l’a pas ressenti ainsi. Spontanée et pleine d’humour, la Jurassienne a décliné ses priorités: la cohésion sociale, la justice climatique et la prospérité partagée. Habilement, elle a souligné le besoin de cohésion à l’intérieur du pays d’une part – en rappelant son projet de maturité bilingue entre le Jura et Bâle-Campagne – et avec l’Europe d’autre part. «Notre frontière avec la France est plus longue que celle avec les autres cantons suisses.»
Nervosité à Berne
La possible présence d’Elisabeth Baume-Schneider sur le ticket du PS suscite une certaine nervosité à Berne. Sous la Coupole, on pensait généralement qu’une femme alémanique, peu importe qu’elle se prénomme Eva ou Evi, succéderait à Simonetta Sommaruga. Ce d’autant plus que l’alinéa 4 de l’article 175 de la nouvelle Constitution approuvée en 1999 stipule que «les diverses régions et communautés linguistiques doivent être équitablement représentées au Conseil fédéral». Mais jusqu’ici, la Jurassienne effectue un sans-faute et une surprise le 7 décembre n’est plus exclue.
A condition que les autres partis n’opposent pas de «veto». Les avis les plus réprobateurs sont jusqu’ici venus du Parti libéral-radical. Le chef de son groupe parlementaire, Damien Cottier (NE), redoutait récemment dans les titres romands de Tamedia un possible «choix fictif». Au cas où le PS nommait sur son ticket la Jurassienne et une Alémanique, le parlement ne disposerait pas de réelle alternative: la logique appellerait alors à élire la postulante d’outre-Sarine, pour s’inscrire dans la continuité de la germanophone Simonetta Sommaruga.
De quoi faire grincer des dents au PLR, qui se sentirait «sous la contrainte» d’un PS jouant avec les limites. Par réaction, certains élus pourraient éventuellement miser sur une candidature «sauvage», par exemple celle du socialiste «de droite» Daniel Jositsch. Mais il paraît improbable à l’heure actuelle que tout le groupe échafaude une stratégie en ce sens.
Le Centre encore indécis
Au Centre, la tendance s’avère plus difficile à lire. D’une part, le vice-président Vincent Maitre (GE) épouse une ligne proche de celle du PLR. «Le pays a besoin de stabilité dans ce contexte plombé par les crises (Ukraine, énergie, inflation). Ce n’est pas l’heure de chambouler les équilibres et de faire des révolutions coperniciennes au Conseil fédéral. Cela refroidirait très sérieusement les relations entre Alémaniques et Latins, et n’est vraiment pas souhaitable, et pas à l’avantage des Romands à long terme. Le Centre prône la pérennité.»
D’autre part cependant, le chef du groupe parlementaire, Philipp Matthias Bregy (VS), manifeste une réelle ouverture à l’égard de la candidature d’Elisabeth Baume-Schneider. Dans le Tages-Anzeiger, il juge que «s’il y avait une majorité latine au Conseil fédéral sur une courte période, ce ne serait pas un problème». Pour cet avocat de métier, l’article de la Constitution exigeant une représentation équitable des communautés linguistiques et des régions «sert à protéger les minorités, et non la majorité».
Chez les vert’libéraux, les élus aux Chambres ne se sont pas encore prononcés. Président du parti, Jürg Grossen (BE) minimise l’importance des équilibres culturels. «A titre personnel, je trouve que les critères de région linguistique sont importants, mais la préférence doit aller aux meilleures personnalités.»
A l’UDC, le chef du groupe parlementaire Thomas Aeschi (ZG) se borne à indiquer que les siens «éliront l’une des deux candidates officielles du PS». Une phrase qui ne sonne pas comme une contre-indication radicale à une nomination d’Elisabeth Baume-Schneider sur le ticket de finalistes. Pour décrocher le graal, la Jurassienne devra néanmoins battre Eva Herzog. Et c’est là que la barre pourrait se révéler trop haute.