Harcèlement
La conseillère nationale genevoise, l’une des rares femmes à avoir dénoncé ouvertement des «comportements inacceptables» au parlement, revient sur l’affaire Buttet, près d’une année plus tard.

Le Temps: Un an après #MeToo, quel bilan tirez-vous?
Lisa Mazzone: Ce mouvement de libération de la parole des femmes a eu un vrai impact. Il a permis que la honte change de camp. L’idée que les femmes sont responsables du harcèlement ne passe plus. Les femmes ont pris conscience que la parole représente aussi un pouvoir. Symboliquement, cette appropriation de l’espace public est un signal très fort. Même s’il reste encore de nombreuses femmes harcelées en situation de dépendance hiérarchique pour qui briser la chape du silence est très difficile.
Parleriez-vous de révolution sociétale?
Oui, c’est un phénomène qui va marquer notre temps. Les femmes qui ont vécu mai 1968 ont beaucoup lutté pour se réapproprier leur corps. Puis j’ai l’impression qu’une courroie de transmission a manqué. Les femmes des plus jeunes générations avaient aussi besoin d’un mouvement fort et mobilisateur, cela pour revendiquer ensemble nos droits.
Vous n’avez vraiment jamais parlé de libération sexuelle avec votre maman?
Non, surtout pas! Chez nous, ces questions relevaient de l’espace privé dont on ne parlait pas, par pudeur. Ma mère, psychiatre, est décédée avant que je ne sois prête à aborder ces questions avec elle. Je n’ai pu en discuter qu’entre copines. D’ailleurs, j’ai eu beau être une féministe convaincue, je n’ai pas voulu reconnaître que j’ai laissé passer des actes intolérables, en occultant les douleurs que cela représente. J’ai pris sur moi une partie de la culpabilité. Et m’en suis sentie honteuse.
Je n’ai pas vécu de nouvelle situation pouvant être qualifiée de harcèlement. Mais le sexisme ordinaire demeure au parlement
En tant que parlementaire, quel constat dressez-vous un an après l’affaire Buttet?
Je suis déchirée entre deux sentiments. D’une part, cette affaire a obligé tout le monde à reconnaître que le harcèlement existe aussi au parlement, comme dans le reste de la société. Mais d’autre part, je trouve que les bureaux des Chambres fédérales n’en ont pas fait assez. Ils ont certes distribué une circulaire [soulignant la différence entre le flirt et le harcèlement] que l’on ne retrouve déjà plus sur internet. Mais après? J’aurais attendu un travail de sensibilisation plus approfondi, qui confronte vraiment les élus dans leurs comportements.
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Avec le recul, comment avez-vous vécu cette session de décembre 2017?
Elle a été très éprouvante pour moi, le moment plus exposant étant ma participation à l’émission de la RTS Infrarouge. J’ai eu l’impression d’avoir été écrasée par un bulldozer. Mais j’ai reçu des dizaines de courriels, de remerciement et d’encouragement pour 90% d’entre eux. C’était la confirmation qu’il y avait besoin d’un débat public.
Vous avez révélé avoir été victime de harcèlement. Pourquoi n’avoir pas porté plainte?
Une démarche juridique oppose la parole de l’un contre celle de l’autre. Il n’y a pas de témoin ni de preuve. Déposer une plainte est une démarche lourde durant laquelle ma parole aurait été remise en doute. Je n’avais pas envie de vivre cela, de plus avec un statut de personne publique qui m’aurait encore exposée davantage.
Etes-vous sûre d’avoir pris la bonne décision?
J’ai beaucoup réfléchi. Je reconnais qu’un tel renoncement pose un problème: la femme ressort blessée des actes qu’elle a subis, tandis que l’agresseur n’est pas confronté à son comportement inacceptable. Pour la cause à défendre, ce n’est pas forcément la bonne décision. Sur un plan personnel, j’ai préféré renoncer. C’était ma limite.
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Avez-vous été victime de comportements inappropriés depuis l’éclatement de l’affaire?
Non, je n’ai pas vécu de nouvelle situation pouvant être qualifiée de harcèlement. Mais le sexisme ordinaire demeure au parlement. Un jour, j’ai voulu aller parler à une collègue dans les travées de l’UDC au Conseil national: je me suis fait chambrer assez vulgairement. Ce n’est qu’un exemple.
Pourquoi n’avez-vous pas contacté la cellule spécialisée mise à disposition par les services du parlement en décembre 2017?
Le fait de m’exprimer ouvertement dans les médias m’a permis de faire ce travail d’apaisement et de réparation de moi-même. Mais il faut absolument maintenir cette cellule, même si elle n’a pas été sollicitée pour l’instant. Il existe de telles structures dans de nombreuses entreprises. Il en faut aussi une au parlement.
Qu’avez-vous pensé de la repentance de Yannick Buttet dans l’interview qu’il a accordée au Matin.ch?
C’était une opération de communication. Il s’y pose en victime de son addiction, des médias, voire des femmes qu’il a harcelées. Mais cette interview montre surtout qu’il ne reconnaît pas la gravité de ses actes.