Les règles du jeu de l’échange automatique d’informations en matière fiscale sont désormais connues. Le conseil de l’OCDE a approuvé le 15 juillet l’ensemble des documents relatifs à ce qui est en passe de devenir la nouvelle norme mondiale, a annoncé l’organisation lundi matin.

Si l’architecture du standard avait été dévoilée en février – soit le spectre des informations qui seront échangées, les institutions financières soumises à déclaration et les contribuables concernés –, les détails de sa mise en œuvre étaient très attendus.

La Suisse – qui a déjà donné son accord de principe à l’adoption du standard et qui a activement participé à sa définition – était notamment très attentive à ce que ses exigences de sécurité, de réciprocité et d’égalité de concurrence soient respectées et à ce que la mise en place de l’outil informatique ne soit pas trop onéreuse pour la place financière. Chef fiscal de l’OCDE, Pascal Saint-Amans l’affirme: elle peut être rassurée.

Le Temps: Le 15 juillet 2014 fera date: le fonctionnement de l’échange automatique d’informations est désormais clair jusque dans les moindres détails. Concrètement, qu’a approuvé le Conseil de l’OCDE la semaine passée?

Pascal Saint-Amans: Le Conseil a adopté le standard d’échange automatique dans sa version complète, qui devient ainsi la nouvelle recommandation de l’OCDE: l’échange automatique d’informations est le nouveau standard. Spectre des informations à échanger, institutions soumises à obligation de rapporter, contribuables concernés, modalités techniques de mise en place, outil informatique, commentaire interprétatif: tout y est. Cette documentation va maintenant permettre aux Etats et aux institutions financières de passer à la phase de mise en œuvre du standard.

– Le 19 avril 2013, les ministres des Finances du G20 décidaient que l’échange automatique allait devenir le nouveau standard. A peine plus d’un an après, tout est sous toit. C’est allé très vite!

– Oui, c’est allé vite. Parce que les demandes politiques sont fortes pour accompagner ce qui est une évolution globale: l’ère du secret bancaire est arrivée à son terme et il s’agit d’organiser la suite de façon rationnelle et efficace, tout en s’assurant que l’égalité de traitement et de concurrence entre les différentes juridictions sera garantie. La Suisse a eu raison d’insister sur ce point pour que ceux qui jouent le jeu ne soient pas pénalisés. Le standard consacre notamment la confidentialité des informations échangées. C’est un point capital: l’échange automatique fait circuler des informations dont on ne maîtrise pas forcément le contenu, il est essentiel que ces données ne soient transmises qu’à des pays qui peuvent garantir leur confidentialité. Le commentaire interprétatif est très clair sur ce point.

– Ce commentaire était justement très attendu. Qu’a-t-il permis de clarifier?

– Il dissipe toutes les divergences d’interprétations possibles quant aux modalités techniques de mise en œuvre du standard. Il n’y a pas de changement fondamental par rapport aux principes déjà connus, mais le commentaire précise comment le standard doit fonctionner et doit être appliqué, dans tous les cas de figure et pour tous les acteurs.

– La Suisse a longtemps rechigné à monter dans le train de l’échange automatique. Pourtant, elle est loin d’avoir joué les figurantes et semble avoir participé activement à la définition du standard…

– Absolument. La Suisse a clairement démontré son intention de tourner la page. Elle a été très active dans le développement du standard et n’a pas essayé de retarder le processus. Les banques suisses, par exemple, ont été très constructives pour aider à mettre au point un outil informatique compatible avec Fatca [la loi américaine permettant aux Etats-Unis d’identifier automatiquement les comptes de leurs contribuables à l’étranger], de manière à faire baisser les coûts de mise en œuvre du standard.

– Le prochain Forum mondial sur la transparence aura lieu à Berlin les 28 et 29 octobre. C’est à ce moment-là que ses 120 membres devront obligatoirement déclarer s’ils entendent mettre en œuvre la nouvelle norme. C’est en fait à Berlin que vous saurez si la mayonnaise a pris, non?

– Je crois que la mayonnaise a déjà pris! Plus de 60 pays, dont la Suisse, se sont déjà engagés à passer à l’échange automatique. Soit deux tiers des 90 pays que représentent les membres du G20, les membres de l’OCDE et les places financières. Mais la réunion de Berlin va en effet permettre de concrétiser tout cela: il sera demandé aux Etats de se calquer sur le rythme des 44 «early adopters» – les pays qui ont annoncé les premiers leur volonté d’adopter le standard et pour qui l’échéance est juillet 2017 – ou alors de les suivre dans un délai d’une année. On peut espérer que la Suisse soit dans ce rythme.

– En Suisse, trois projets de mandats de négociation sont déjà en consultation au sein des commissions compétentes du parlement, dans le but de mettre en place l’échange automatique avec l’Union européenne, avec les Etats-Unis et avec des pays tiers. Et le projet de loi destiné à adapter le droit suisse à la nouvelle donne est également déjà en préparation, pour une mise en consultation dès cet hiver. L’un dans l’autre, la Suisse pourrait être prête à pratiquer l’échange automatique dès 2017. On ne peut plus dire que la Suisse tergiverse!

– Effectivement. Et compte tenu du fait que, pour tous les Etats, la mise en œuvre du standard suppose de négocier des accords internationaux et d’adapter leur droit interne, il est difficile d’aller plus vite que l’horizon 2017/2018.

– La Suisse a toujours formulé quatre exigences pour accepter le standard. Celui-ci devait respecter le principe de spécialité – les informations ne peuvent être échangées qu’à des fins fiscales –, de réciprocité, de confidentialité des données échangées et d’identification fiable des ayants droit économiques. Peut-elle être rassurée ?

– Oui, ces quatre points font partie du standard. Pour ce qui est de l’identification des ayants droit, les exigences sont sévères, de manière à ce que des structures comme les trusts ne puissent pas s’interposer. Donc oui, les Suisses peuvent être rassurés.

– Pourtant, des poches d’opacité subsistent. Dans l’Etat américain du Delaware, par exemple, les bénéficiaires effectifs d’un compte ne seront pas systématiquement identifiés s’ils se cachent derrière des structures comme les LLC (Limited Liability Company). Ici, l’exigence d’identification systématique des ayants droit n’est pas garantie!

– C’est vrai, ce problème subsiste. Mais il est identifié, tout comme le problème des actions au porteur en Suisse, dont la transparence doit être améliorée. Pour ces situations qui restent problématiques, le standard formule des recommandations et il y aura un suivi: charge au Forum mondial sur la transparence de mettre la pression sur les Etats concernés.

– Autre problème, à lire le standard, les Etats-Unis ne sont pas tenus d’identifier les ayants droit de structures sises dans des pays avec lesquels ils n’ont pas d’accord Fatca. Et il est écrit noir sur blanc que cette exception est compatible avec le nouveau standard. Vous admettrez que c’est problématique…

– Le fait que cette situation soit compatible avec le standard est le fruit d’un consensus entre les Etats qui ont participé à son élaboration: tout le monde était d’accord. On ne parle ici que de la transparence de structures implantées dans des pays qui n’ont pas d’accord Fatca avec les Etats-Unis. C’est donc appelé à disparaître: les Etats-Unis ont déjà conclu quelque 90 accords Fatca. Et ils se sont engagés à poursuivre le processus et à procéder aux changements législatifs qui s’imposent.

– Prenons le cas d’un contribuable français qui possède des avoirs aux Etats – Unis par l’intermédiaire d’une structure sise dans un pays qui n’a pas d’accord Fatca avec les Etats-Unis. Si ce contribuable évite les valeurs américaines – disons que ses avoirs sont des obligations allemandes –, les Etats-Unis n’opéreront aucune retenue à la source sur les avoirs concernés et ne les signaleront pas au fisc français. Dans ce cas de figure, les problèmes d’identification et de réciprocité sont criants!

– Il peut effectivement y avoir un problème. Sauf que dans ce cas de figure, l’information devra être rapportée au fisc français par le pays dans lequel se trouve l’entité qui détient les avoirs du contribuable. Ce pays s’engagera-t-il à adopter le standard d’échange automatique? C’est une autre question. Mais s’il ne le fait pas, il a de bonnes chances d’être montré du doigt, à terme, par le Forum mondial.

– Les banquiers suisses ont mis le doigt sur un dernier hic, qui concerne toujours la réciprocité: les Etats-Unis ne fourniront à leurs partenaires que des informations sur les intérêts et les dividendes, alors qu’ils recevront un spectre bien plus large d’informations. Il y a clairement asymétrie!

– Oui, il y a effectivement une asymétrie qui pose problème. Mais là encore, ce problème est identifié et les Etats-Unis ont pris l’engagement de réduire cette asymétrie. Cela passera certainement par un vote du Congrès et prendra peut-être du temps, mais cette situation n’est pas éternelle. N’oublions pas que le standard signe le début d’un processus, qui est évolutif et qui fera l’objet d’un suivi serré.