L’offensive de la gauche sur les soins dentaires ulcère les patrons
Santé
L’initiative des socialistes valaisans pour une assurance dentaire obligatoire a abouti ce jeudi. Le peuple votera sur des textes similaires dans les cantons de Vaud, Neuchâtel et Genève

Pour le conseiller national Mathias Reynard, «il est choquant que des gens renoncent à des soins dans un pays aussi riche que la Suisse». Ce jeudi, les socialistes valaisans ont déposé 4464 signatures à la Chancellerie. Elles suffiront à faire voter les Valaisans sur une initiative cantonale créant une assurance dentaire obligatoire pour tous.
A l’origine du projet, le député Gaël Bourgeois argumente: «La santé buccodentaire impacte la santé générale.» Mais en passant à l’offensive, les deux hommes s’attendent à de fortes résistances de la droite et du patronat.
Directeur de la Chambre valaisanne de commerce et d’industrie, Vincent Riesen se prépare à mener campagne contre une initiative à la fois «inefficace et injuste». Sans imaginer que les partis bourgeois puissent soutenir ce projet, le libéral-radical dénonce «une étatisation et une déresponsabilisation qui poussent à la surconsommation». Pour lui, «la gauche cherche à draguer les éternels partisans de la caisse unique».
Retenue sur les salaires
Ces prochaines années, Vaud, Neuchâtel et Genève se prononceront sur des textes similaires, qui exigent une assurance dentaire pour couvrir les soins de base et garantir un contrôle annuel. Partout, le financement de cette assurance serait assuré par une retenue sur le salaire de 0,5% pour l’employeur et de 0,5% pour l’employé. Pour un revenu de 5000 francs, tous deux cotiseraient donc 25 francs par mois. En Valais, ce pourcent de la masse salariale représente environ 90 millions de francs.
En Suisse, la facture moyenne annuelle des frais dentaires s’élevait à 464 francs par personne en 2013. Les ménages prennent en charge près de 90% de ces coûts, pendant que l’aide sociale et les assurances privées assument le solde. Selon l’Office fédéral de la statistique, 5% des habitants du pays renoncent à des soins dentaires pour des raisons financières. Ils sont plus de 9% dans la région lémanique.
Lire notre débat: Faut-il créer une assurance obligatoire de soins dentaires?
Patrons et dentistes unis
Cette vague d’initiatives cantonales fait suite à deux échecs de la gauche au Conseil national. En 2006, elle butait sur le Conseil fédéral quand elle réclamait une assurance obligatoire pour les traitements de base. Cinq ans plus tard, elle tentait d’intégrer les soins dentaires dans la couverture de la loi sur l’assurance maladie et elle se heurtait à une commission craignant une augmentation des primes.
L’hygiène buccodentaire des Suisses est excellente et ses coûts sont maîtrisés.
Convaincue que le modèle actuel fonctionne, la Société suisse des médecins dentistes combat ces initiatives. Pour son porte-parole Marco Tackenberg, «une assurance obligatoire nuirait à la liberté thérapeutique». En regrettant que «trop peu de gens savent qu’ils peuvent demander un soutien ponctuel aux communes», il insiste: «L’hygiène buccodentaire des Suisses est excellente et ses coûts sont maîtrisés.»
A Genève, l’initiative constitutionnelle lancée par le Parti du travail a abouti en 2016. Président de la Fédération des entreprises romandes, Ivan Slatkine s’oppose à un texte qui «diminuerait le pouvoir d’achat et augmenterait le coût du travail». Pour le libéral-radical, «l’hygiène dentaire constitue une responsabilité individuelle» et «les soins des plus démunis sont déjà assurés par l’aide sociale».
Le contre-projet vaudois
Dans le canton de Vaud, où les signatures ont aussi été récoltées par l’extrême gauche (SolidaritéS et POP), le gouvernement a choisi d’élaborer un contre-projet. Pour les mineurs, il entend financer 50% des soins et un examen tous les deux ans. Des bons de 200 francs encourageraient les parents à contracter une assurance complémentaire qui couvrirait notamment l’orthodontie. Les adultes bénéficieraient d’un remboursement si les frais excèdent 3% du revenu, avec un plafond annuel de 5000 francs.
Trop de gens croient à tort que la santé buccodentaire est réglée sous nos latitudes.
Pour le ministre de la Santé Pierre-Yves Maillard, «trop de gens croient à tort que la santé buccodentaire est réglée sous nos latitudes». Afin de financer une politique estimée à 38 millions de francs, le socialiste souhaite taxer les distributeurs de boissons sucrées jusqu’à 30 centimes par litre et prélever 3 à 4 francs sur le salaire des employés et des indépendants. Le Grand Conseil se prononcera bientôt sur cette alternative. Les Vaudois voteront en septembre prochain.
Lire également: Pierre-Yves Maillard veut taxer les sodas pour financer les soins dentaires
Le texte des socialistes valaisans laisse au Grand Conseil le soin de définir le catalogue des prestations et leur financement. Mathias Reynard peut même envisager de retirer cette initiative au profit d’un contre-projet jugé satisfaisant: «Nous souhaitons surtout ouvrir le débat.» Pour Gaël Bourgeois, «une solution fédérale serait largement préférable», mais «la configuration du parlement et la puissance du lobby des assureurs ne permettent pas cette évolution nécessaire».