Le long combat de Clément Wieilly pour les enfants placés
Réparation
Orphelin maltraité durant son enfance, le Fribourgeois est devenu l’un des visages romands de la lutte pour la reconnaissance des victimes de placements forcés. Un CD en main, il cherche des fonds pour les aider

Pour faire avancer sa cause, Clément Wieilly frappe à toutes les portes. Celle de la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, à qui il vient d’adresser une lettre. Celles des églises et de l’Evêché de Lausanne, Genève et Fribourg, qui va le recevoir ce vendredi. Celles des rédactions, à qui il raconte son combat en faveur des anciens enfants placés. Il arrive tenant à la main, en guise de bâton de pèlerin, un CD au titre évocateur, «Espoir», qu’il vient de terminer avec l’aide d’un producteur, Dom Torche.
Fondateur de l’association «Agir pour la dignité», le Fribourgeois de 61 ans est devenu l’un des visages romands de la cause de l’enfance volée. L’expression fait référence à cette période sombre de l’histoire suisse, qui s’est prolongée jusqu’en 1981, au cours de laquelle des enfants et des jeunes ont été placés, sans décision de justice, dans des orphelinats, des institutions religieuses ou des familles d’accueil; parfois retirés de force à leurs parents, ils ont souvent été roués de coups, maltraités psychiquement et abusés sexuellement. Depuis quelques années, la Suisse affronte son passé: un travail de reconnaissance et de réparation de longue haleine est en cours, assorti d’études scientifiques pour documenter ce que la langue administrative qualifie de «placements extra-familiaux» et de «mesures de coercition à des fins d’assistance».
20 000 personnes concernées
Selon les estimations, environ 20 000 personnes soumises à ces mesures ou ces placements sont encore en vie aujourd’hui. Le Fribourgeois en fait partie. Comme ses frères et sa sœur, Clément Wieilly a été enlevé à des parents pauvres et placé en orphelinat à l’âge de trois ans. Dans cette institution, comme dans les familles paysannes chez qui il était envoyé pour travailler durant les vacances, il a souffert de nombreuses maltraitances.
Mais pour nombre de personnes concernées, les difficultés de la vie quotidienne se heurtent au temps long des processus politiques, parlementaires et référendaires. En juin 2013, une table ronde a été mise en place par Simonetta Sommaruga. Un an plus tard, elle a débouché sur un rapport et des pistes pour aider les victimes. Une des propositions prévoit des «prestations financières substantielles» distribuées par le biais d’un fonds de solidarité.
Une aide immédiate a également été mise sur pied, gérée par la Chaîne du bonheur. Plus de 5 millions de francs ont été réunis sur la base de contributions volontaires des cantons, des villes, de communes, d’organisations privées, d’entreprises et de particuliers. Quelque 800 personnes dans la précarité ont déjà pu recevoir un soutien, celui-ci s’élève à 8000 francs en moyenne. Environ 200 requêtes sont encore en cours de traitement.
Message prêt
Une initiative populaire sur la réparation a également abouti au début 2015. Elle demande la création d’un fonds doté de 500 millions de francs; son comité rassemble des personnalités représentant l’ensemble de l’échiquier politique. Fin juin 2015, le Conseil fédéral a mis en consultation un avant-projet de loi qui fait office de contre-projet indirect à cette initiative. Ce texte propose des contributions de solidarité d’un montant total de 300 millions de francs. Cela représenterait un montant moyen de 20 000 francs par personne si 15 000 victimes demandaient une contribution, comme l’estiment les experts de la Confédération. La procédure de consultation s’est achevée fin septembre, le Conseil fédéral pourrait adopter le message sur l’initiative et le contre-projet ce vendredi déjà.
S’il est autant question de réparation financière, c’est notamment parce que les placements forcés suivis de mauvais traitements et d’abus ont des incidences sur la capacité financière des victimes: «En raison de violences physiques ou psychologiques, ou d’une scolarisation insuffisante, de nombreuses personnes concernées ont eu des lacunes dans leur formation et n’ont souvent pas pu apprendre un métier ou entreprendre des études au terme de l’école obligatoire», constate le rapport issu de la table ronde. Ayant peu travaillé au cours de leur vie en raison de problèmes de santé ou de séquelles psychiques, parfois employés des années durant sans salaire dans des foyers, des prisons ou des fermes, nombre d’ex-enfants placés ne touchent pas de rente AVS complète.
Financement controversé
Or, même si elle était traitée à un rythme rapide par les Chambres et si elle était finalement acceptée – la question du financement est pour l’heure très controversée –, la loi pourrait, au mieux, être mise en œuvre en 2017 ou 2018. «Ce n’est pas possible: on ne peut plus attendre alors qu’une partie des gens est en train de mourir», lance Clément Wieilly. C’est pourquoi en parallèle, il mène ses propres démarches pour aider des victimes. Ses requêtes: montrer des dossiers personnels difficiles à la conseillère fédérale, promouvoir son disque dans les paroisses pour récolter des fonds, inciter des mécènes à s’engager. «Les choses ne bougent pas assez vite. On ne peut pas rester dans une telle indifférence», s’exclame-t-il encore, révolté.
Son ambition? «Si j’arrive à réunir 500 à 700 000 francs, je pourrai aider les personnes que je connais qui en ont le plus besoin, celles qui ne peuvent pas se payer des soins médicaux, ni même un fauteuil roulant pour se déplacer. J’aimerais aussi aider des familles qui ont des enfants doués, mais pas assez d’argent pour financer leurs études et d’autres qui, à l’inverse, ont des enfants qui nécessitent des prises en charge et ne peuvent les financer.»