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La longue marche de Verbier sur le Tour de France

Il aura fallu 19 ans au Val de Bagnes pour séduire la Grande Boucle. Ce dimanche, et jusqu’à mardi, la caravane du tour colonisera la région de Martigny et Grand Saint-Bernard. Récit d’une quête.

«Il était une fois…», raconte Patrick Messeiller, directeur de l’Office du tourisme de Verbier-Val de Bagnes. L’homme avait 39 ans quand il a signé la première missive adressée aux papes du Tour de France sollicitant leur indulgence et une arrivée d’étape. Aujourd’hui, il en a 58. Il a fallu courtiser la Grande Boucle pendant 19 ans avant de voir grimper le peloton sur les hauteurs de Verbier. La fête durera trois jours. Dimanche, montée en station après une longue chevauchée à travers les cantons de Fribourg et de Vaud. Lundi, repos agrémenté d’un critérium à Martigny. Mardi départ de la ville gallo-romaine en direction du Grand Saint-Bernard avant le retour en France via un crochet éclair par le val d’Aoste en Italie.

On attend sur les talus du parcours plus de 100 000 amateurs, encadrés par près de 2000 policiers, vaudois, fribourgeois et valaisans entre la frontière de Vallorbe et le finish de Verbier. C’est en effet l’organisateur local qui doit garantir le transit de 180 champions lancés ventre à terre sur les routes du pays. Mais pour en arriver là, les maîtres d’œuvre de la venue du Tour ont dû s’armer d’une volonté de fer et de patience.

Alternative estivale

Au début des années quatre-vingt-dix, l’office du tourisme Verbier-Val de Bagnes, sous les ordres de Patrick Messeiller depuis 1987, cherche des débouchés estivaux pour la région. Si l’hiver le ski fait l’affaire, encore que les changements climatiques, la valse des prix et les hésitations des vacanciers bouleversent quelque peu les vieilles habitudes, l’été manque de caractère. De brainstorming en prospection avec un œil sur les voisins – Crans Montana a accueilli le Tour de France en 1984 – la Grande Boucle tente les montagnards.

Après le premier contact en 1990, Verbier se déplace d’année en année sur une étape. Jean-Marie Leblanc d’abord, Christian Prudhomme ensuite, ne manquent pas à chaque fois d’encourager les Valaisans sans pour autant dire oui. Les deux manitous ne snobent pas les Bagnards, reconnaît Patrick Messeiller. Cependant, l’épreuve continue d’esquiver le Vieux Pays même si la Suisse romande est plutôt gâtée. La course débarque à Genève en 1990, à Fribourg en 1998, à Neuchâtel l’année suivante, et enfin à Lausanne au tournant du siècle.

Séduire les Français

Au lieu de se relâcher, le comité redouble d’effort. Quelques rencontres heureuses ouvrent des nouvelles perspectives. Jacques Barrot, ancien ministre chiraquien et mélomane, atterri à Verbier pour le festival de musique classique, finit par plaider la cause valaisanne auprès de son ami Jean-Marie LeBlanc. Marc Biver, alors patron du Tour de Suisse, offre un contrat de longue durée à la station. Les arrivées de la compétition nationale deviennent autant d’occasions de montrer aux Français les qualités humaines et techniques du terroir, explique Patrick Messeiller. Enfin Eric Cachart, journaliste de France télévision, recyclé dans l’hôtellerie, arrange une rencontre décisive en 2004 avec la direction du Tour. Rencontre qui motive définitivement les artisans du miracle. Même s’il faudra attendre encore un lustre.

En mai 2006, le directeur des sites d’arrivée de la Grande Boucle repère enfin un terrain favorable. Du concret. On constitue un comité présidé par Gaston Barben, directeur de projet à Téléverbier. Le canton du Valais manifeste son intérêt et son soutien. Au printemps 2007, une délégation bagnarde fond sur Paris. Elle livre à Christian Prudhomme un dossier irréprochable. Célébrités et autorités y vantent les charmes et les atouts du val de Bagnes.

A peine ébranlé, le grand chef jure que le Tour visitera la Suisse entre 2009 et 2011. On sait que trois autres localités romandes réclament une halte: Porrentruy dans le Jura, Lugano au Tessin et Finhaut-Emosson en Valais. Une année s’écoule, jusqu’au coup de fil libérateur de juin 2008. Verbier tient son étape. Plus un jour de repos. Le peloton repartira depuis Martigny «aspirée avec son consentement» dans l’aventure, soupire satisfait Marc-Henri Favre, président de la ville. La foi, la détermination ont gagné, exulte Patrick Messeiller.

Une poule aux œufs d’or

Or, le passage de la caravane, 4000 personnes, 200 véhicules, 20 kilomètres de tintamarre marchand, vaut de l’or. Le Tour est le troisième événement sportif après les championnats du monde de football et les Jeux Olympiques. Deux mille journalistes, 186 télévisions, des radios, le net, un spot publicitaire sur les ondes de France Télévision et le bouche-à-oreille vont catapulter le val de Bagnes aux confins de la planète. Une couverture sans pareils, à faire pâlir les campagnes médiatiques de Suisse Tourisme. Même s’il reste difficile d’évaluer l’impact de la kermesse en jaune. Eternelle question, sans réponse définitive, d’ailleurs.

Au cœur de l’actualité très importante, à long terme celui-ci aurait tendance à s’émousser jusqu’à s’évanouir, faute de rappels ou de répétitions de l’événement. Didier Burkhalter, président de la ville de Neuchâtel à l’époque où elle avait reçu le Tour en 1998, constatait dix ans plus tard qu’il aurait préféré avoir «un tournoi annuel de football diffusé sur Eurosport afin de bénéficier des effets durables d’une telle manifestation».

Quoi qu’il en soit, la Grande Boucle soigne l’image, mais elle génère en même temps des chiffres d’affaires explosifs pendant le séjour des suiveurs. De plus, les municipalités profitent de l’aubaine pour accélérer des travaux prévus depuis longtemps ou engager des aménagements en suspens. C’est le cas aussi à Verbier, confirme Christophe Dumoulin, président de la commune de Bagnes.

Du coup l’événement fait saliver. La concurrence défie l’entendement; 250 villes et villages, bourgs et lieu-dit se pressent chaque année pour décrocher le Graal. Et cela se paie. Bagnes aligne 300’000 francs et la ville de Martigny 150’000. Amaury sport organisation (ASO), groupe dont dépend l’épreuve, mais également propriétaires du quotidien sportif L’Equipe, encaisse et assure le spectacle. Pour le reste – sécurité, logistique, équipements routiers – collectivités publiques et sociétés de développement débourseront près de 2 millions. Le secteur privé est en revanche plus discret, représenté cependant par la Loterie Romande. Un investissement raisonnable, juge-t-on sur place. Avec la bénédiction des Parlements acquis à la cause. Car le Tour de France promet gloire et retombées, qui récompensent les longues années passées à ferrailler et à s’entêter.

Les yeux rivés sur l’Alpe d’Huez, destination mythique du Tour où l’été un millier de cyclistes par jour s’échinent sur les lacets du tracé transformé en icône vélocipède, Christophe Dumoulin imagine une saison touristique longue de dix mois sur douze. La compétition transalpine emportée dans le val de Bagnes ainsi que le million investi doit y contribuer. Bagnes, 7300 habitants, 100 millions de budget, se positionne «sport, culture, nature». Après le festival de musique, la patrouille des glaciers, la Grande Boucle figure l’apothéose phénoménale d’une vallée alpine à la remorque de la petite reine.