En gare de Renens, les premiers travaux ont démarré. Le café Le Terminus, très lié à l’histoire ouvrière locale, attend sa démolition, tagué et squatté. Le bouleversement approche. Le lieu est appelé à devenir une gare de grande ville, au cœur du réseau de transport de l’Ouest lausannois.

«C’est ici que tout a commencé, lorsque cette gare est venue se poser en pleine campagne à l’époque de l’industrialisation», explique Nicolas Noël, un enseignant qui sillonne inlassablement le territoire, auquel il consacre un blog (www.arpenterlouest.ch). Le blogueur n’est pas un apôtre de l’avenir radieux promis aux riverains de la friche. Pas un nostalgique non plus. Observer avec attention et sensibilité les changements qui se précipitent, voilà son affaire. «Il faut dire d’où l’on vient», plaide-t-il en passant devant la Maison du peuple, dont le bistrot affiche une carte portugaise et chinoise.

A l’Ouest, c’est là qu’il y a du nouveau. Devenues bien trop grandes, les zones industrielles offrent leur place pour absorber la forte croissance démographique vaudoise. De 70 000 habitants aujourd’hui, le district devrait dépasser les 100 000 en 2030.

Pendant longtemps, on n’a parlé que planification. Mais les choses concrètes commencent. Par bouts. On le voit bien à Malley, qui doit servir de moteur à la transformation générale: la confrontation avec le réel avive les tensions. La «plus grande friche urbaine de Suisse» a été découpée en quatre secteurs, et autant de mises à l’enquête. «Du saucissonnage», dénonce Olivier Jaunin, président de la Société de développement des Baumettes. Posé sur la colline, ce quartier de classe moyenne conteste le «mur de béton» prévu à ses pieds et les quatre tours de 60 à 100 mètres planifiées un peu plus loin. «La population réclame de la transparence sur l’ensemble et veut être consultée sur une transformation d’une telle ampleur», ajoute Olivier Jaunin.

Des autorités communales trop petites pour ces grands projets? «Sous pression oui, dépassées non», se défend Alain Gillièron, syndic de Prilly, l’une des huit communes du district. «Pour Malley, il est prévu de renforcer la collaboration avec Renens, d’engager un chef de projet et de solliciter l’aide financière du canton», explique-t-il.

Les ensembles projetés ont de jolis noms, L’Orée, Les Cèdres, Les Lentillières. On aurait pu les appeler Kodak, Veillon ou Filtrona, les firmes qui leur cèdent l’espace. Une fois tracées les grandes lignes d’un quartier, tout est encore loin d’être dit. Combien d’habitants pour combien d’emplois? Quelle part de logements à loyer contrôlé? Quelles activités, entre artisanat qui stagne et surfaces de bureaux déjà trop abondantes?

«Le curseur n’est pas encore fixé», répond Alain Gillièron à propos de Malley. La convention avec les propriétaires – il s’agit notamment des CFF, dont la présence dans l’Ouest est importante et le souci de rentabilité avoué – n’est pas conclue.

Qui pilote cette mutation? Au bureau du Schéma directeur de l’Ouest lausannois (SDOL), confronté aux critiques visant les «technocrates», la modestie est de mise. «Nous jouons un rôle de coordination, répond Benoît Biéler, responsable adjoint. Pour éviter que l’action d’une commune ne nuise à celle d’une autre.»

Marianne Huguenin, syndique de Renens et présidente du SDOL, admet que son district est entré dans une «période charnière où les autorités devraient s’organiser pour peser davantage» face aux propriétaires, aux promoteurs. Mais grâce au SDOL, l’Ouest lausannois a désormais une polarité bien installée, assure-t-elle. Il capte la moitié des investissements de toute l’agglomération Lausanne-Morges.

Un rival pour la capitale? Daniel Brélaz, syndic de Lausanne, préfère voir de la complémentarité, face aux énormes besoins de développement du canton. Un stimulant? «Nous aussi on bouge, rétorque-t-il. Avec le projet Métamorphose, Lausanne pourrait passer de 140 000 à 170 000 habitants. Le centre de gravité se déplace vers l’ouest, mais cet ouest reste morcelé.»

Dans ce territoire diversifié, la mutation suscite des craintes contraires dans la population. A Saint-Sulpice, on redoute la multiplication du logement social, à Renens la gentrification. Le destin de l’Ouest est lié en tout cas au site des hautes écoles, presque une ville de 30 000 personnes entre l’université et l’EPFL. Construit à la campagne, le campus a senti venir la ville. Il se fondra toujours plus dans son nouvel environnement urbain. Pour favoriser la prise de conscience de la région comme «district de la formation», l’UNIL lance justement ce lundi un concours ouvert à tous sur le thème «Mon Ouest à moi». Les concurrents sont invités à traiter de cet univers dans un film de 80 secondes réalisé avec leur téléphone portable (www.filmdepoche.ch).

Ouest branché? Les architectes de Pont12, qui ont remporté le concours du centre de glace de Malley, ont déménagé de Lausanne à Chavannes, dans l’ancienne fabrique de «têtes de nègre» Perrier. «Ici, c’est un peu la vie à la zurichoise. Le climat est plus stimulant que l’extrême prudence lausannoise», assure François Jolliet, qui était l’un des auteurs de la tour Taoua.

«Des couples arrivent avec des enfants, constate Nicolas Noël. Ils ­partagent leur temps de travail, renoncent parfois à la voiture.» L’arpenteur-blogueur se réjouit du retour du tram, disparu en 1964, de la construction du gymnase. Il s’inquiète du prix des futurs logements, ayant vu à Renens un studio en vente pour 350 000 francs. Il s’indigne que Chavannes ait arraché le statut de «commune touristique», qui permet de vendre des biens immobiliers aux étrangers. Il plaide pour que la mue se fasse «dans le respect des gens qui sont déjà là».

« L’Ouest offre un climat plus stimulant que l’extrême prudence de Lausanne»